«Les discours que j'ai pu entendre ces dernières semaines sont indignes [...] parce qu'ils servent d'autres intérêts, soit ceux des groupements terroristes [...] , soit ceux d'autres puissances étrangères qui veulent simplement voir les Européens plus loin, parce qu'elles ont leur propre agenda, un agenda de mercenaires» : le 13 janvier, à l’issue du sommet du G5 Sahel, Emmanuel Macron dénonçait à nouveau les diatribes contre l’ancienne puissance coloniale, lancées notamment lors de manifestations fustigeant la présence militaire française au Sahel, toujours en proie à la menace terroriste.
Ce n’est pas la première fois que le président français s’indigne de ces vertes critiques : le 4 décembre dernier, à la clôture du 27e sommet de l’OTAN organisé à Londres, le président français avait déploré «des ambiguïtés [des dirigeants des pays sahéliens] à l'égard des mouvements antifrançais parfois portés par des responsables politiques».
«La France n'est pas là [au Sahel] avec des visées néocoloniales, impérialistes ou avec des finalités économiques. On est là pour la sécurité collective de la région et la nôtre», avait-il martelé sans pour autant, là-aussi, nommer les responsables à l'origine de ces accusations. Le chef de l’Etat avait d'ailleurs, à cette occasion, demandé aux membres du G5 Sahel de clarifier «leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale». «Souhaitent-ils notre présence ? Ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions», s'était-il en outre interrogé.
La réponse ne s'était pas fait attendre : le 15 décembre dernier, réunis en sommet à Niamey (Niger), les président des Etats membres du G5 Sahel (Burkina, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) avaient réaffirmé leur soutien à l’action de Paris dans la région, en soulignant que la lutte contre le terrorisme devait impliquer l’ensemble de la communauté internationale. Le président nigérien Issoufou, hôte de l’événement, avait d’ailleurs salué le projet de l'opération Tacouba, réunissant des forces spéciales de plusieurs pays européens afin d'apporter des renforts à l'armée malienne, qui est en train d'être mis sur pied à l'initiative de la France. Pour autant, malgré ce soutien politique affiché, le ressentiment d’une partie de l’opinion publique n’a pas disparu.
Une population exaspérée par l’absence de résultats dans la lutte antiterroriste
Ce rejet de la présence militaire française exprimé par une partie de l’opinion publique des pays sahéliens – plusieurs manifestations ont eu lieu au cours de ces derniers mois au Mali et au Niger – intervient alors que l’efficacité du dispositif militaire français incarnée par la Force Barkhane (4 500 hommes) peine à apporter des résultats probants.
Et les derniers événements tragiques sur le front sécuritaire ne sont guère rassurants : il y a peu, le 9 janvier, le Niger était frappé par une attaque terroriste à Chinégodar, près de la frontière malienne. Selon un dernier bilan annoncé le 12 janvier par les autorités nigériennes, 89 soldats ont été tués. Il s’agit du pire attentant pour le Niger, encore meurtri par l’attaque d’Inates commise le 10 décembre dernier et qui avait coûté la vie à 71 soldats. L’attaque, revendiquée par l’organisation terroriste Daesh, avait d’ailleurs contraint la France à repousser l’organisation du sommet de Pau (Pyrénées-Atlantique), initialement prévu le 16 décembre.
Le Niger ne fait malheureusement pas office d’exception : le Burkina Faso, le Tchad et la Mali sont également la cible régulière d’attaques terroristes. Dans ce dernier pays, 52 soldats maliens et un civil ont perdu la vie lors d’une attaque revendiquée par l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) visant le camp d'Indelimane, dans le nord-est du pays.
C’est également au Mali que l’armée française a connu ses plus grandes pertes depuis son intervention en 2013 dans la région. 13 militaires français ont perdu la vie fin novembre, dans la collision accidentelle de deux hélicoptères au Mali. Quelques semaines plus tôt, le brigadier Ronan Pointeau avait été mortellement touché par «le déclenchement d'un engin explosif improvisé au passage de son véhicule blindé» dans le Liptako, alors que ledit véhicule assurait la protection d'un convoi entre les villes maliennes de Gao et Ménaka.
En outre, la persistance des heurts intercommunautaires est venue renforcer le sentiment que la France, même si elle intervient dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, n’est pas en mesure de stabiliser les pays de la région.
La nature des rapports entre la France et les pays sahéliens à l’origine d’un rejet de la présence française ?
Interrogé par RT France, Louis Keumayou, journaliste, président du Club de l'information africaine, estime que les manifestations contre la présence militaire française de relèvent pas d'un «sentiment antifrançais». La réaction épidermique d’une partie de la population africaine est, selon lui, la conséquence de la nature des relations qu’entretiennent les autorités françaises avec les pays africains : «Je pense que le président de la République se trompe en parlant de sentiment antifrançais. Ce n’est pas un sentiment antifrançais. C’est le manque de sincérité qu’il y a dans les rapports entre la France et les pays africains qui pose problème», estime-t-il.
Et de poursuivre : «Quand on prend par exemple la question du Franc CFA, cela constitue un point d’achoppement important entre eux […] On ajoute à cela le fait que la France a quand même soutenu pendant très longtemps des présidents qui n’ont pas été très aimés dans leurs pays. Les Africains demandent que les rapports entre leurs pays et la France ne soient plus dans le flou.» Par ailleurs, il rappelle que la convocation du G5 Sahel par Emmanuel Macron a été très mal prise dans les pays du Sahel : «Il y a cette manière de la France de se comporter en Afrique comme si elle était dans son jardin qui ne plaît plus aux sociétés civiles. Pour les chefs d’Etat cela passe, ils avalent des couleuvres, mais pas pour la société civile.»
Louis Keumayou conclut : «Lors de l’opération Serval au Mali, la France avait été très bien accueillie. Les gens étaient contents [de cette intervention]. Mais après, le problème fut la libération de Kidal et toutes les villes du nord dans lesquelles l’armée malienne ne peut pas renter parce que la France a eu un accord secret avec les Touaregs en vue de la libération des otages [français] qui étaient détenus dans ces zones. Cela fait sept ans que la France est au Mali. Pourquoi elle ne permet pas à l’armée malienne de rentrer dans toutes les villes du nord ? Cela alimente ce sentiment qui fait croire qu’il y a quelque chose de pas net. Les gens veulent des résultats et être respectés dans leur pays.»
Sahel : la coopération avec la Russie bientôt décriée par Paris ?
Si, le 13 janvier, le chef de l’Etat français n’a pas cité nommément la Russie comme faisant partie de ces «puissances étrangères» qui seraient à l’origine d’un discours «antifrançais», un haut gradé militaire cité par l’AFP confie que Paris soupçonnerait «les Russes d'encourager le sentiment antifrançais» dans la bande sahélo-saharienne. Ce constat entre dans la lignée d’une série de déclarations pour le moins peu fraternelles de la France à l’égard de la Russie au sujet de sa présence en Afrique.
Soutien historique de nombreux pays africains dans leur lutte pour l’indépendance, Moscou s’était temporairement éclipsée de la scène africaine en raison de l'effondrement de l'Union soviétique et des difficultés économiques qui en ont résulté. Depuis peu, comme en témoigne le dernier sommet Russie-Afrique d’octobre dernier, elle signe son retour. Mais cela semble être vu d’un mauvais œil par la France, le cas centrafricain en est l’un des plus évocateur.
En janvier 2019, devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian avait ainsi déclaré, à propos de La République centrafricaine : «Il y a une présence active de la Russie, récente, significative, antifrançaise dans les propos, dans les réseaux [sociaux].» Quelques mois plus tôt, le 5 novembre, dans une interview parue dans l'hebdomadaire Jeune Afrique, Florence Parly, ministre française de la Défense, avait déclaré n'être «pas certaine que [...] les actions déployées par Moscou», actif sur le front diplomatique, «contribuent à stabiliser le pays». Autant d'accusations sans preuve qui risquent de se répéter, après le rapprochement entre la Russie et certains pays de la bande sahélienne dans le domaine de la coopération sécuritaire ?
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Malik Acher