Cofondateur des ONG Médecins sans frontières et Médecins du monde, l'ancien ministre des Affaires étrangères (2007-2010) Bernard Kouchner a livré son analyse des politiques interventionnistes dans un entretien publié le 11 janvier sur le site du magazine Le Point. L'occasion pour celui qui fut représentant spécial du secrétaire général de l'ONU au Kosovo entre 1999 et 2001, de revenir sur plusieurs opérations militaires et frictions diplomatiques ayant secoué la scène internationale ces dernières années.
Soleimani, il a mérité 25 fois qu'on le tue
Interrogé sur les récents épisodes de tensions entre Washington et Téhéran, Bernard Kouchner commente par exemple la récente attitude du président américain vis-à-vis de Téhéran. Regrettant sa décision de retirer les Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien, il souligne toutefois qu'il est «trop facile de penser que [Donald Trump] est fou». «Quant à Soleimani, il a mérité 25 fois qu'on le tue, il fut l'instigateur de nombreux massacres et je ne le pleure pas. Mais ce n'était pas le bon moment. Non, sûrement pas… C'était une erreur», estime-t-il au sujet de l'assassinat lors d'une frappe américaine à Bagdad de Qassem Soleimani, considéré, de son vivant, comme le numéro 2 de la République islamique d'Iran.
Barack Obama [...] aurait dû frapper la Syrie et Assad en août 2013
En outre, le promoteur du concept de «devoir d’ingérence» compare l'actuel chef d'Etat américain à son prédécesseur, partageant son admiration pour Barack Obama et son regret de ne pas avoir vu les Etats-Unis frapper la Syrie (plus durement que les frappes occidentales d'avril 2018) : «Je préfère 1 000 fois ce qu'a fait Obama [...] Même si lui aussi a fait des erreurs. Il aurait dû frapper la Syrie et Assad en août 2013. Tout était prêt, nous étions prêts».
L'Europe, l'Europe, l'Europe, ce devrait être notre réponse aux problèmes du monde
Interrogé sur un potentiel remplaçant du «gendarme américain», celui qui fut eurodéputé des années 1994 à 1997 fait part de son désespoir quant au projet de construction européenne – ou, du moins, de voix européenne commune sur la scène internationale. «Comment se passer des Etats-Unis sans une Europe vraiment unie ? Voilà bien notre drame : nous n'avons pas réussi à construire l'Europe.» Et Bernard Kouchner d'insister sur ce qui semble à ses yeux être devenu un rêve brisé. «L'Europe, l'Europe, l'Europe, ce devrait être notre réponse aux problèmes du monde», confie-t-il au Point, non sans rappeler une célèbre citation du général de Gaulle qui, dans une direction diamétralement opposée, avait pour sa part déclaré le 14 décembre 1965 : «On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe, l'Europe, l'Europe, mais ça n'aboutit à rien, ça ne signifie rien.»
Au cours de son entretien, l'ancien ministre est également revenu sur l'intervention française en Libye, qu'il avait alors fortement plébiscitée en 2011. «Peut-être me suis-je trompé… Ou peut-être avons-nous outrepassé le mandat de l'ONU… De toute façon, je n'étais plus ministre des Affaires étrangères, c'était Alain Juppé», résume-t-il.
Notez bien que le droit d'ingérence se veut un droit préventif
Quoi qu'il en soit, l'ancien chef de la diplomatie se montre catégorique quand il s'agit de défendre l'interventionnisme militaire au nom du droit d'ingérence, qui correspond à la reconnaissance du droit pour un ou plusieurs Etats de violer la souveraineté nationale d'un autre Etat, au nom de la défense de populations victimes ou menacées de crimes.
Ainsi, interrogé sur la nécessité d'intervenir dans les pays où se déroulent des crises humanitaires, il répond notamment en ces termes : «L'ingérence est un droit voté par les Nations unies, non seulement par l'Assemblée générale mais aussi par le Conseil de sécurité. Et notez bien que le droit d'ingérence se veut un droit préventif.»