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«Attaque chimique» à Douma : fuite d'une version préliminaire jamais publiée du rapport de l'OIAC

«Troisième lot de documents», «falsification des faits» : WikiLeaks publie de nouveaux documents mettant en avant l'existence de désaccords au sein de l'OIAC au sujet de son rapport d'enquête sur la présumée attaque chimique du 7 avril 2018 à Douma.

Près de trois semaines après la publication d'un courriel pointant des reformulations «trompeuses» ainsi que des omissions «sélectives» dans une version corrigée du rapport préliminaire de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) sur la présumée attaque chimique du 7 avril 2018 à Douma, en Syrie, WikiLeaks révèle de nouveaux documents mettant en lumière «la façon dont les faits ont été dénaturés dans la version corrigée du rapport de l'OIAC [publié le 1er mars 2019]». Parmi ces documents, WikiLeaks affirme rendre publics : un courriel adressé le 14 mars 2019 au directeur de l'OIAC par un membre de la mission d'enquête envoyée en Syrie au mois d'avril 2018, ou encore une version préliminaire du rapport, encore jamais publiée, datée de juin 2018.

«Troisième lot de documents montrant la falsification des faits dans la version publiée du rapport de l'OIAC sur les armes chimiques concernant la Syrie», a tweeté WikiLeaks dans la nuit du 14 au 15 décembre.

Une mission d'enquête remaniée en cours de route ?

Mis en avant par WikiLeaks comme le mémorandum écrit par l'un des scientifiques de la mission d'enquête initiale, un des documents révélés dans cette fuite se présente sous la forme d'un courriel adressé le 14 mars 2019 à Fernando Arias, directeur de l'OIAC. Le texte évoque alors les préoccupations d'«environ 20 inspecteurs» de l'équipe de la mission d'enquête au sujet du rapport rendu public par l'OIAC le 1er mars 2019, dont «la conclusion semble s'être complètement inversée» par rapport à sa version préliminaire. L'auteur du courriel explique ainsi que le texte final «ne reflète pas le point de vue des membres de l'équipe déployés à Douma», affirmant par ailleurs que seul un membre de la mission d'enquête qui s'est déplacée à Douma, «un secouriste», aurait participé à la version finale du rapport. «En dehors de cette seule personne, une nouvelle équipe dénommée "équipe de base de la mission d'enquête" a été réunie pour préparer le rapport final», écrit-il.

En outre, affirmant avoir initialement été «chargé d'analyser et d'évaluer les deux cylindres trouvés sur les lieux de l'attaque chimique présumée», l'auteur du courriel se plaint d'avoir été exclu du travail au cours de l'enquête, «pour des raisons qui n'étaient pas clairement établies». Il explique donc avoir voulu finir le travail qu'il avait commencé en engageant notamment «une expertise en ingénierie» avec «deux institutions impartiales et crédibles». Affirmant avoir tenté de transmettre les avancées de son travail à la nouvelle équipe de mission «à partir du 15 février 2019», l'auteur du courriel explique que ses envois n'ont pas été pris en compte pour la publication du rapport final.

Révélation de la version préliminaire du rapport, encore jamais publiée

Figure également dans cette nouvelle fuite un document de 116 pages présenté comme «le premier projet du rapport préliminaire», daté du mois de juin 2018.

Selon l'auteur du courriel révélé par WikiLeaks le 23 novembre dernier, ce rapport préliminaire comprendrait des éléments occultés dans le texte finalement publié par l'OIAC.

A titre d'exemple, contrairement au rapport corrigé qui évoque l'existence de «preuves suffisantes pour établir que du chlore, ou un autre produit chimique réactif contenant du chlore, était vraisemblablement libéré des bouteilles», le texte initial révélé par WikiLeaks précise par exemple dès les premières pages que «bien que [d]es bouteilles aient pu être à l'origine du rejet chimique suspect, les preuves sont insuffisantes pour le confirmer».

Dès les premières pages encore, les auteurs de ce rapport préliminaire expliquent également que l'équipe de la mission envoyée en Syrie en avril 2018 n'écartait pas le scénario selon lequel les décès liés à l'attaque pourraient résulter d'«un incident non lié à des produits chimiques». «L'équipe ne dispose pas à l'heure actuelle de preuves suffisantes pour pouvoir formuler une conclusion», précise alors le texte.

Suite au prochain épisode ?

En tout état de cause, ces nouvelles révélations mettent en avant l'existence de désaccords au sein de l'OIAC au sujet des corrections apportées dans le rapport finalement publié par l'organisation.

Quoi qu'il en soit, sans attendre les résultats de l'enquête qui auraient pu participer à déterminer les responsabilités de chacun dans la présumée attaque chimique du 7 avril 2018 à Douma, Bachar el-Assad avait été accusé par plusieurs pays, dont les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, qui avaient mené des frappes de représailles contre des infrastructures du gouvernement syrien dans la nuit du 13 au 14 avril 2018.

Les conclusions officielles de l'OIAC n'ont pour leur part jamais convaincu les autorités syriennes, ni leurs alliés russes, qui nient tous deux toute attaque chimique commise par l'armée syrienne. Dès le 11 mars, lors d'une conférence de presse au siège de l'organisation à La Haye, Alexandre Choulguine, son représentant permanent pour la Russie, avait dénoncé un contenu «contradictoire [...] plein de lacunes, de divergences [et] d'incohérences». Le représentant permanent de Damas auprès de l'OIAC, Bassam Sabbagh, cité par l'agence de presse Sana, avait pour sa part évoqué un rapport «clairement politisé», déplorant que l'enquête ne prenne pas en compte le point de vue des autorités syriennes.

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