Les 3 et 4 décembre à Londres, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) célèbre ses 70 ans. Le président de la République française, Emmanuel Macron, a souligné par des mots forts, le 7 novembre dans un entretien accordé au magazine The Economist, la crise existentielle que traverse l'Alliance atlantique. «Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN». Soulignant le désengagement américain vis-à-vis de ses alliés de l'OTAN et le comportement récent de la Turquie envers les Kurdes en Syrie, Emmanuel Macron a souhaité faire réagir les pays membres de l'OTAN, afin d'en clarifier les objectifs et la philosophie avant son sommet.
Créée le 4 avril 1949, l'organisation politico-militaire voit le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et à l'aube de la guerre froide, afin d'assurer la sécurité et la défense collective des pays d'Europe occidentale, sous la tutelle des Etats-Unis, face à l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Selon les mots de son premier secrétaire général, Hastings Lionel Ismay, le rôle de l'OTAN consiste à «garder les Russes à l'extérieur, les Américains à l'intérieur et les Allemands sous tutelle».
Malgré l'effondrement de l'URSS et la fin de la guerre froide au début des années 1990, et donc l'obsolescence de ses motivations originelles, l'Alliance atlantique a perduré et procédé à son élargissement en intégrant plusieurs pays anciennement socialistes (Pologne en 1999 et les pays baltes en 2004) dans le but notamment de limiter l'influence de la Russie dans les anciennes républiques de l'Union soviétique.
Parallèlement, depuis les années 1990, l'OTAN a mené une dizaine d'opérations militaires, dont les théâtres des opérations se sont progressivement éloignés géographiquement des pays membres, et idéologiquement des objectifs initiaux. De la Yougoslavie à la Libye, en passant par l'Afghanistan, plusieurs interventions de l'Alliance atlantique ont suscité de profondes controverses. Retour sur quelques-unes d'entre elles.
Yougoslavie : Slobodan Milosevic comme cible de l'OTAN ?
Le 24 mars 1999, l’OTAN entrait en guerre contre la République fédérale de Yougoslavie, réduite à la Serbie, au Monténégro et à la Province autonome du Kosovo depuis 1992, en lançant une campagne de bombardements aériens durant onze semaines dans le but de mettre fin à la répression des Kosovars albanais par les forces armées de Slobodan Milosevic. Pour la première fois depuis sa création en 1949, l’Alliance atlantique intervenait contre un Etat souverain, qui ne menaçait ni ses voisins ni aucun de ses membres.
Le Kosovo, province du sud de la Serbie peuplée à 90% d’Albanais, était depuis 1996 le lieu d’affrontements entre l’Armée de libération du Kosovo (UCK), aux velléités indépendantistes, et les forces armées du président serbe Slobodan Milosevic. Ecartés du pouvoir malgré leur très large majorité, les Kosovars albanais s’insurgèrent au printemps 1998 sous l’égide de l’UCK. En réponse, les forces serbes réprimèrent violemment les séparatistes albanais, déplaçant et tuant de nombreux civils.
Trois ans seulement après les accords de Dayton (en Ohio aux Etats-Unis, en 1995) qui avaient enterré le rêve de Grande Serbie de Slobodan Milosevic en mettant fin aux guerres de Bosnie et de Croatie, par le biais d’une solution confédérale, les pays membres de l’OTAN craignirent que le conflit ne s’étende à l’ensemble des Balkans, aux portes de l’Union européenne (UE). Les membres de l’Alliance atlantique, afin de justifier une intervention armée, «dénoncèrent l’intransigeance serbe, ne reculèrent devant aucune exagération sur la situation vécue sur place, présentée comme un "génocide", quitte à mettre en avant de fausses nouvelles relayées par de nombreux médias», écrit le Monde diplomatique.
Les deux échecs consécutifs des accords de Rambouillet et de Paris, en février et mars 1999, regroupant des indépendantistes kosovars, des dirigeants yougoslaves, le Groupe de contact (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie et Russie) ainsi que plusieurs médiateurs internationaux, provoquèrent le déclenchement de la guerre. Alors même que les Serbes acceptaient notamment un gouvernement autonome [au Kosovo], des élections libres et la libération de tous les détenus politiques. Les dirigeants yougoslaves ne s’opposaient en réalité qu’à «l’annexe B du plan présenté par le "Groupe de contact ", qui prévoyait le déploiement de troupes de l’OTAN sur son territoire».
Déclenchés le 23 mars 1999 sans mandat de l’Organisation des nations unies (ONU) – puisque la Russie, alliée historique de Belgrade, et la Chine s’étaient opposées à toute résolution permettant une intervention militaire – et à la suite des échecs des négociations de Rambouillet, les bombardements des pays membres de l’OTAN durèrent jusqu’au 3 juin.
Après la destruction de nombreuses infrastructures (ponts, intersections ferroviaires, réseau électrique, etc.), le déplacement de centaines de milliers de réfugiés et plus de 13 000 morts, le président serbe Slobodan Milosevic cède aux exigences du Groupe de contact sur la Province autonome du Kosovo majoritairement albanaise : retrait de l'armée serbe, déploiement d’une force internationale sur place et retour des réfugiés. Le Kosovo est alors placé sous l’administration de l’ONU. Neuf ans plus tard, en 2008, le Kosovo a proclamé son indépendance. Toutefois, la Russie et la Chine, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, ont, dès lors, bloqué toute tentative d’adhésion du Kosovo à l’ONU.
Afghanistan : Oussama Ben Laden en filigrane
Les missions que se fixe officiellement l'OTAN pour justifier son existence vont progressivement s'étendre à la lutte contre le terrorisme et la protection des populations civiles : l'Alliance atlantique rejoint ainsi la «guerre contre le terrorisme» en Afghanistan lancée en 2001 par Washington, qui invoque l'article 5 après les attentats du 11 septembre.
L’intervention occidentale (alors essentiellement composée de contingents américains et britanniques), d’abord nommée Justice sans limite puis Liberté immuable, et sous commandement militaire des Etats-Unis, est lancée le 7 octobre en Afghanistan. Les objectifs affichés étaient de chasser du pouvoir les Taliban, qui avaient notamment donné l’asile à Al-Qaïda et Oussama Ben Laden.
Dès le 13 novembre 2001, la capitale afghane, Kaboul, était prise par les forces occidentales (auxquelles se sont principalement ajoutés des contingents allemands, italiens, français, canadiens et australiens) et l’Alliance du Nord, les forces afghanes opposées aux Taliban.
Le 20 décembre, voit le jour la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) – dont l’objectif premier était d' «aider le gouvernement afghan à assurer efficacement la sécurité dans tout le pays et à mettre en place de nouvelles forces de sécurité pour faire en sorte que l’Afghanistan ne redevienne plus jamais un sanctuaire pour les terroristes», selon l’OTAN. D’abord mandatée par l’Organisations des nations unies (ONU) avec la résolution 1368 (adoptée à l’unanimité le 20 décembre 2001) du Conseil de sécurité, ce n’est qu’à partir du 11 août 2003 que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) prend la direction de la FIAS. En outre, «Hamid Karzaï, ancien collaborateur de la CIA, est nommé président par intérim [d’Afghanistan] le 22 décembre. Il sera élu en 2004, puis reconduit en 2009», écrit à ce sujet le Monde diplomatique.
Toutefois, la situation s’est progressivement dégradée dès 2003. En effet, sous l'égide de leur chef, le mollah Omar, [les Taliban] se sont reconstitués, en partie grâce au soutien du Pakistan, toujours soucieux de garder un pied en Afghanistan. «La frustration croissante de pans entiers de la population pachtoune dans le sud et l'est du pays, se sentant écartés du pouvoir, et la corruption rampante du nouveau régime de Hamid Karzaï leur ont servi à reprendre pied dans leurs provinces d'origine», lit-on dans Le Figaro. Ainsi, l’inefficacité de la stratégie de la FIAS sous la direction de l’OTAN et le soutien du Pakistan aux Taliban ont contribué à un mouvement insurrectionnel dirigé par ces derniers contre le pouvoir en place et l’ingérence militaire occidentale.
Parallèlement, les Etats-Unis s’engagèrent massivement en Irak dès 2003, notamment afin de renverser Saddam Hussein, accusé à tort de détenir des armes de destruction massive. Ce n’est que sous le premier mandat de Barack Obama que l’Afghanistan redevient une priorité américaine. Ainsi, en 2010, alors que les Taliban ont repris des provinces entières (essentiellement les zones rurales) jusqu’aux portes de Kaboul, de nouvelles troupes américaines, au nombre de 30 000, y sont envoyées le 1er décembre pour reprendre la situation en main. Effectivement, dès lors que les forces militaires de l'OTAN réduisent leur présence, les Taliban regagnent du terrain. Néanmoins, l'Alliance atlantique annonce le 19 novembre 2010 le retrait des troupes de la coalition d'ici à 2014. Transférant les responsabilités à l'armée afghane, les forces otanesques vont progressivement réduire leur présence et instaurer un nouveau rapport de forces plus favorable aux Taliban.
Peu de temps après, le 2 mai 2011, Oussama Ben Laden est tué au Pakistan par un commando américain, mettant fin à une traque qui aura duré une décennie.
Au cours de l'intervention occidentale en Afghanistan longue de treize années, plus de 10 000 civils afghans ont perdu la vie lors d’opérations militaires alliées ou d’attaques insurgées. De plus, entre 20 000 et 30 000 Taliban ont été tués en Afghanistan et plusieurs milliers au Pakistan, où les bombardements américains dans les zones frontalières ont également fait plusieurs centaines de morts parmi les civils.
Du côté des contingents militaires, 2 753 membres des forces de l'OTAN ont péri, dont 1 801 Américains, 382 Britanniques et 75 Français (chiffres d’octobre 2011). Environ trois millions de réfugiés afghans – principalement au Pakistan (1,8 million) et en Iran (1 million) – étaient à signaler en 2011. La destruction de nombreuses infrastructures, telles que des routes, ponts, aéroports, hôpitaux ou bâtiments officiels, limitent fortement les capacités de développement du pays.
Malgré l’élection présidentielle de 2014 à laquelle les Afghans ont très largement voté en dépit des menaces faites par les Taliban, les institutions du pays demeurent très fragiles, et les Taliban sont toujours présents dans plusieurs régions, notamment au niveau de la frontière afghano-pakistanaise et au nord.
Libye : Sarkozy, l'OTAN et Kadhafi
Pour la première fois de son histoire, l’OTAN, dans le cadre de ses opérations militaires en Libye en mars 2011, est intervenue dans une guerre civile, soutenant officiellement les forces rebelles contre les forces du chef d’Etat libyen, Mouammar Kadhafi, ne menaçant pourtant ni les pays voisins ni les Etats membres de l’Alliance atlantique.
Dès le 15 février 2011, insufflées par les insurrections liées au printemps arabe, plusieurs manifestations débutent en Libye, notamment à Benghazi, seconde ville du pays. Très vite, les manifestants, soutenus par le Royaume-Uni et la France, qui leur a par ailleurs fourni des armes en grande quantité, s’emparent de Benghazi et de la région de Cyrénaïque (nord-est), avant de prendre la ville de Misrata, à quelques encablures de la capitale libyenne, Tripoli (nord-ouest). La réponse de Mouammar Kadhafi, ne se fait pas attendre. Il lance une contre-offensive, début mars, dans le nord du pays, jusqu’aux portes de Benghazi.
C’est dans ce contexte que le Conseil de sécurité adopte la résolution 1973, le 17 mars, qui autorise les Etats membres de l’ONU à établir une zone d’interdiction de vol au-dessus du territoire libyen et à prendre «tous les moyens nécessaires» pour prévenir de toutes attaques contre les civils. Dès lors, une dizaine de pays, principalement occidentaux, forment la force spéciale chargée de la mise en application de la résolution 1973. Le 19 mars débute les opérations militaires occidentales en Libye. Il faut toutefois attendre le 31 mars pour que ces opérations passent sous la responsabilité de l’OTAN.
Jusqu’au mois d’octobre, la guerre civile gagnera la quasi-totalité du pays, opposant les forces pro-Kadhafi et des milices regroupées dans le Conseil national de transition (CNT), soutenu par l’OTAN. Entre temps, le 16 septembre, l’ONU reconnaît le CNT comme l’autorité légitime du pays. Un mois après, le 23 octobre, Mouammar Kadhafi est tué et les interventions de l’OTAN cessent le 31 octobre.
Depuis, l’instabilité et l’insécurité règnent en maitre en Libye, alors même que le pays était le plus avancé d’Afrique en 2010. En effet, divers groupes djihadistes, dont l'organisation de l'Etat islamique, ont profité du chaos ambiant pour s'implanter, déstabilisant non seulement le territoire libyen mais également la région. A cela s'ajoute de nombreux migrants venant d'Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient qui transitent par la Libye notamment pour atteindre l'Europe. Les organisations telles qu’Amnesty international, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et Médecins sans frontières (MSF) avaient également dénoncé des viols, des tortures et l’esclavage de milliers de migrants africains en Libye. Le pays traverse par ailleurs une troisième guerre civile depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, opposant actuellement les forces du maréchal Khalifa Haftar et le gouvernement d'union nationale.
En outre, une des principales polémiques autour du déclenchement de cette intervention militaire occidentale sous la responsabilité de l’OTAN, réside dans les e-mails aujourd’hui déclassifiés d’Hillary Clinton – alors secrétaire d’Etat des Etats-Unis – qui ont été rendus publics. Peu de temps avant l’intervention en Libye, Nicolas Sarkozy – alors président français – «avait déclaré vouloir libérer le peuple libyen du joug dictatorial de Mouammar Kadhafi», d'après Le Nouvel Observateur.
Toutefois, d'après les e-mails déclassifiés, les motivations de Nicolas Sarkozy étaient toutes autres et répondaient à «un désir d’obtenir une plus grande partie du pétrole libyen ; accroître l’influence française en Afrique du nord ; améliorer sa situation politique intérieure en France ; offrir à l’armée française une chance de rétablir sa position dans le monde ; et répondre à l’inquiétude de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique de l’Ouest», explique le Nouvel Observateur.
Basée sur des postulats erronés, l'opération en Libye, initiée par Nicolas Sarkozy et l'ancien chef du gouvernement britannique David Cameron, s'est transformée, selon le comité parlementaire britannique présidé par Crispin Blunt, en une «politique opportuniste de changement de régime sans aucune considération pour les répercussions politiques et morales d'une telle entreprise, et aucun plan pour l'avenir et la reconstruction du pays après la chute de Kadhafi».
Alexandre Job
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