En matière de croissance économique, la région ouest-africaine est présentée par le Fonds monétaire international (FMI) comme le bon élève du continent. Bien qu’en baisse pour nombre de pays de la région, les prévisions de croissance de l’institution financière pour l’année 2019, affichent des taux supérieurs à 5% pour la plupart d’entre eux. Ainsi le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger ou encore la Guinée devraient enregistrer d’ici la fin de l’année un taux de croissance autour des 6%. Quant à la Côte d’Ivoire et le Ghana, ils peuvent se targuer d’enregistrer la plus forte prévision de croissance, 7,5%. Pour autant, son effet d'entraînement sur la réduction de la pauvreté et donc des inégalités sociales, reste pour l'heure faible.
Une mauvaise répartition des fruits de la croissance
Le taux de croissance qui, il faut le rappeler est celui du produit intérieur brut (PIB), reste une donnée abstraite car elle ne reflète guère une amélioration sur le plan social et notamment une réduction des inégalités au sein de la population. Malgré tout, elle est largement mise en exergue par les dirigeants politiques pour gager auprès de l’opinion publique de la bonne gestion des affaires du pays.
Une bonne gestion dont certaines catégories sociales, notamment les jeunes, réclament de voir les fruits. Outre le phénomène de l'émigration, les mouvements récurrents de protestation révèlent le sentiment de marginalisation exprimé par cette frange de la population dans plusieurs pays de la région.
Aujourd'hui les 1% les plus riches des Ouest-Africains gagnent plus que le reste de la population
L’Indice de développement humain (IDH) dont le calcul, contrairement au PIB, se base sur des données relatives au niveau de vie (pouvoir d’achat), au niveau d’instruction ou encore à l’espérance de vie à la naissance, vient par ailleurs rappeler que la croissance économique aussi forte soit elle, ne parvient pas, pour l'heure, à améliorer les conditions de vie de l'ensemble de ces populations.
En effet, sur les 16 pays faisant partie de l’aire géographique délimitant l’Afrique de l’Ouest, 14 affichaient un IDH «faible» selon le classement 2017 publié en 2018 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Dans cette liste figure notamment le Nigéria : considéré comme le poids lourd économique du continent africain avec un PIB de 400 milliards de dollars, ce pays pointe pourtant à la triste 157e place du classement IDH (0,532) sur 189.
Un paradoxe pointé du doigt par les ONG Oxfam et Development Finance International (DFI) dans un rapport publié le 9 juillet dernier et intitulé «La crise des inégalités en Afrique de l'Ouest». Selon ces organisations, malgré une «croissance économique sans précédent» depuis 20 ans dans la région, «aujourd'hui les 1% les plus riches des Ouest-Africains gagnent plus que le reste de la population». Elles affirment en outre que «l'immense majorité de la population» de cette région est privée notamment d'«une éducation de qualité, des soins de santé et des emplois décents» et appellent les gouvernants à revoir leurs politiques budgétaires.
Des disparités sociales et territoriales qui perdurent
Alors que les pays industrialisés peinent à renouer avec une croissance soutenue, le continent africain – et notamment la région ouest – est souvent considéré par les investisseurs étrangers comme la nouvelle frontière de la mondialisation. Ressources naturelles abondantes, population jeune, marchés vierges : de nombreux pays d’Afrique de l’ouest présentent des atouts non négligeables pour les entreprises en quête de relais de croissance.
En milieu urbain, l’impact de la croissance, de la richesse créée, est beaucoup plus important qu’en milieu rural dans ces pays
Ce tableau positif est bien évidemment à nuancer : les infrastructures dans le secteur des transports sont encore obsolètes notamment dans les régions situées en dehors des centres économiques et les derniers développements sécuritaires dans le Sahel rendent frileux les acteurs du monde économique. Cette dichotomie entre espaces urbains – qui captent l’essentiel des investissements nationaux et internationaux – et espaces ruraux souvent enclavés, témoigne ainsi de la mauvaise répartition des fruits de la croissance économique.
«En milieu urbain, l’impact de la croissance, de la richesse créée, est beaucoup plus important qu’en milieu rural dans ces pays. Hors, il ne faut pas oublier que dans beaucoup de pays d’Afrique de l’ouest, la population est encore majoritairement rurale. Si en milieu rural vous n’arrivez pas à améliorer la qualité de vie, à faire en sorte que les gens puissent avoir un emploi, se soigner, vous ne répartissez pas équitablement les fruits de la croissance», souligne l’analyste économique Mays Mouissi, interrogé par RT France.
S’il relève néanmoins que la pauvreté est globalement en recul dans nombre des pays d’Afrique de l’ouest, Mays Mouissi estime que les politiques engagées par les pouvoirs publics pour réduire ce phénomène sont perfectibles : «On a des politiques de développement qui sont uniquement axées sur les milieux urbains au détriment des milieux ruraux qui concentrent pourtant aujourd'hui une part importante de la population.»
«Cette absence de politique a pour conséquence de maintenir dans la précarité des populations qui sont reculées et qui n’ont pas accès au marché de l’emploi et à certains services sociaux de bases», ajoute-t-il.
Si à la faveur d'une croissance économique forte, de nombreux dirigeants ouest-africains ont affiché leur ambition de faire entrer leur pays dans le cercle des nations émergentes, le chemin reste long. En effet, au-delà de résoudre la difficile équation d'une meilleure répartition des richesses, ces pays doivent également faire face à des défis de taille qui pourraient contrarier cet objectif à l'instar de la forte pression démographique ou encore de l'instabilité sécuritaire.
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Malik Acher