La vague de protestations qui secoue l'Amérique latine ces dernières semaines vient d'atteindre la Colombie. Des centaines de milliers de personnes, selon les chiffres rapportés par l'AFP (200 000 d'après la ministre de l'Intérieur Nancy Patricia Gutierrez, plus d'un million pour les organisations à l'origine du mouvement), sont descendues dans les rues du pays le 21 novembre, lors d'un mouvement social de grande ampleur contre le président Ivan Duque, très impopulaire après moins de 18 mois au pouvoir. A l'issue de cette mobilisation majoritairement pacifique, des affrontement en fin de journée ont conduit à la mort de trois personnes et 270 autres ont été blessées.
Allié de Washington et ouvertement hostile au gouvernement vénézuélien de Nicolas Maduro, Ivan Duque qui n'a pas de majorité au parlement et pâtit d'une impopularité de 69% selon les sondages, a été confronté le 21 novembre à une grève nationale, accompagnée de marches convoquées par des syndicats de travailleurs auxquels se sont joints les étudiants, des organisations indigènes, des mouvements de défense de l'environnement et d'opposition, dénonçant les politiques du gouvernement de droite.
«La Colombie a gagné en cette journée historique de mobilisation citoyenne», a estimé dans un communiqué le Comité national de grève, regroupant les organisateurs, qui ont sollicité une réunion «immédiate» avec le président et appelé «les citoyens à se tenir prêts à mener de nouvelles actions dans la rue si le gouvernement persiste dans son indifférence face aux revendications». Dans la soirée, le président a affirmé avoir entendu les manifestants mais n'a pas répondu à la requête de dialogue direct. «Aujourd'hui, les Colombiens ont parlé. Nous les entendons. Le dialogue social a été la bannière principale de ce gouvernement. Nous devons l'approfondir avec tous les secteurs de cette société», a-t-il déclaré.
Les organisations à l'origine du mouvement revendiquent plus d'un million de manifestants à travers le territoire tandis que la ministre de l'Intérieur, Nancy Patricia Gutierrez, a pour sa part fait état de près de 207 000 manifestants.
Concerts de casseroles
La journée de grève du 21 novembre, globalement pacifique, s'est achevée par des incidents violents entre manifestants et forces de l'ordre, et des «cacerolazo», des concerts de casseroles ont retentit dans tout le pays. Ils entendaient dénoncer les violences de policiers anti-émeute. A Bogota, le concert a duré plus de deux heures.
Les casseroles ont aussi résonné à Cali, troisième ville du pays, où un couvre-feu a été décrété par le maire de 19 heures à 6 heures en raison d'«actes de violence» et de «pillages». Des habitants armés y surveillaient des immeubles et des résidences pour éviter des vols, a constaté un photographe de l'AFP.
Dans le centre de la capitale, des affrontements ont eu lieu à la tombée de la nuit, des personnes cagoulées, ou la tête couverte d'une capuche, jetant des pierres et autres projectiles contre les forces de l'ordre, qui ripostaient avec des gaz lacrymogènes.
Au moins 42 civils et 37 policiers ont été blessés au cours d'affrontements, et 36 personnes ont été arrêtées dans tout le pays, selon le bilan des autorités colombiennes.
La Colombie est le fer de lance de l'impérialisme yankee en Amérique latine
Se disant lassés de la corruption et de l'insécurité, les manifestants ont dénoncé des velléités du gouvernement de flexibiliser le marché du travail, d'affaiblir le fonds public des retraites en faveur d'entités privées, et de reculer l'âge de la retraite. Les étudiants ont pour leur part réclamé des moyens pour l'enseignement public, et les indigènes des mesures de protection après l'assassinat de 134 d'entre eux depuis l'arrivée de Ivan Duque au pouvoir en août 2018.
En Amérique latine, l’antagonisme gauche sociale versus droite libérale
«La Colombie est le fer de lance de l'impérialisme yankee en Amérique latine actuellement», a commenté un manifestant au micro de RT en espagnol. «Nous vivons des moments très intéressants en Bolivie, au Chili, qui nous donnent de l'espoir», a-t-il poursuivi.
Cette mobilisation inédite en Colombie intervient dans un climat particulièrement agité en Amérique latine ces dernières semaines, avec des crises socio-politiques, sans dénominateur commun, déclenchées en Equateur, puis au Chili et en Bolivie. Le clivage gauche socialiste contre droite libérale est particulièrement marqué dans ce continent. En Equateur et au Chili, ce sont les politiques de droite soutenues par Washington qui sont la cible des protestations, tandis qu'en Bolivie, c'est le président socialiste de gauche, Evo Morales, qui a été évincé par un mouvement de contestation adoubé par les Etats-Unis. Ses partisans, notamment les indigènes qui sont majoritaires dans le pays, multiplient actuellement leur mobilisation et sont sévèrement réprimés.
La Colombie, avec son président allié de l'administration américaine, qui mène une politique libérale, semble correspondre davantage aux scénarios équatorien et chilien.
Meriem Laribi