Coutumier du fait, Emmanuel Macron continue de souffler le chaud et le froid à propos de la Russie. Si le président de la République affirmait, le 19 août dernier lors de la visite de Vladimir Poutine au fort Brégançon, que «la Russie est européenne, très profondément», ajoutant croire «en cette Europe qui va de Lisbonne à Vladivostok», il a tenu un discours sensiblement différent dans un entretien publié ce 7 novembre par l’hebdomadaire britannique The Economist, jugeant que si la Russie devait s'allier à l'Europe, c'est qu'elle n’avait en réalité pas d’autre choix pour survivre face à la puissance chinoise.
«[Vladimir Poutine] a développé un projet anti-européen par son conservatisme, mais je ne vois pas comment à long terme son projet ne peut pas être un projet de partenariat avec l’Europe», a fait valoir le président français, assurant ne pas croire «une seule seconde que [la] stratégie [de la Russie] soit d’être le vassal de la Chine». «Et donc quelles options lui restent-ils ? Rétablir une politique d’équilibre avec l’Europe», a-t-il certifié, expliquant que le pays «dominant» dans la région était la «Chine» et que dès lors il ne pourrait «jamais» y avoir «d’équilibre».
Moscou et Pékin : une alliance stratégique passée sous silence
En outre, le locataire de l’Elysée s’est également montré dubitatif à propos du «modèle eurasiatique» prôné par Vladimir Poutine. Pour quelle raison ? «Simplement il a un pays dominant qui est la Chine, et je pense que dans ce modèle il n'y aura jamais d'équilibre», fait valoir le chef de l'Etat.
Emmanuel Macron semble ainsi reléguer aux oubliettes les liens construits depuis de nombreuses années entre Russes et Chinois. Partenaires stratégiques et tous deux membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, les deux pays ont en effet multiplié les initiatives de coopération régionale. Vladimir Poutine déclarait lui-même, le 20 février devant l'Assemblée fédérale russe : «Les relations équilibrées aux avantages mutuels actuels de la Russie avec la Chine constituent un facteur de stabilité dans les affaires internationales et en termes de sécurité en Eurasie, offrant un modèle productif de la coopération économique.»
La coopération économique et politique de la zone eurasiatique repose en effet notamment sur l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), créée en 2001 pour succéder au groupe de Shanghai, qui regroupe, en plus de la Chine, de la Russie et de quatre Etats d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan et Tadjikistan), l’Inde et le Pakistan depuis 2015. Cette structure est par ailleurs liée à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui s’étend jusqu’au Caucase et aux portes de l’Union européenne en associant la Biélorussie, l’Arménie à la Russie ainsi que trois Etats d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan) auxquels s’ajoute la Serbie en tant qu’Etat observateur.
Sur le plan économique, dès 2015, la Chine et l’Union économique eurasiatique (UEE) – qui rassemble l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et la Russie – avaient convenu d’harmoniser le projet d’infrastructures internationales que constituent les Nouvelles routes de la soie au niveau du continent eurasiatique. En 2018, un accord de coopération commerciale et économique entre l’UEE et la Chine avait été ratifié en ce sens.
Pour faire néanmoins valoir son argument, Emmanuel Macron en a appelé à la dimension symbolique. «Je regarde les plans de table qui sont faits dans les réunions pour la nouvelle route de la soie, et le président russe est de moins en moins près du président Xi Jinping», a insisté Emmanuel Macron lors de son entretien avec The Economist. Le président français n’a en revanche pas fait mention des images du Forum des Nouvelles routes de la soie, qui s’est tenu le 25 avril à Pékin, et dont la Russie était l’invité d’honneur, montrant les présidents côte à côte lors des tables rondes. Par ailleurs, sur la photo de famille, Vladimir Poutine figurait en bonne place, au centre de la photo, à droite du président chinois Xi Jinping.
Russie - Europe, une relation d'égal à égal ?
Evoquant la voie choisie par la Russie, Emmanuel Macron parle ensuite d'un modèle qui n'est, selon lui, «pas soutenable», celui d'un Etat qui s'armerait à «marche forcée, plus qu'aucun autre européen» sur un «modèle de sur-militarisation, de multiplication des conflits», comme en Ukraine.
Il décrit ensuite une Russie composée d’une «population déclinante et vieillissante» avec un PIB «équivalent à celui de l’Espagne», faisant valoir que le jeu d’équilibre ne serait tenable qu’entre entités de même puissance économique.
En suivant le raisonnement développé par Emmanuel Macron, s'il refuse de devenir le «vassal» de Pékin, Moscou sera forcé de s'allier avec l'Europe, à condition toutefois que cette dernière l'accepte, ce que les mesures antirusses prises par Bruxelles ne garantissent pas pour l'heure. Mais cette alliance, en raison des différences de puissance économique entre les deux parties, ne serait-elle pas tout aussi déséquilibrée que celle unissant Moscou et Pékin, dénoncée par Emmanuel Macron ?