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Brexit : Boris Johnson est-il vraiment dans le «déni de démocratie» ?

Pour être le chantre du Brexit, le libéral Boris Johnson est classé par une bonne partie des experts dans la catégorie fourre-tout des populistes, voire des anti-démocrates. En oubliant vite que les Britanniques ont souhaité le Brexit par le vote.

Le Premier ministre anglais est-il dans le «déni de démocratie» ? Est-il un «populiste» pour vouloir imposer à la Grande-Bretagne un Brexit souhaité par le peuple lors d'un référendum en 2016 ? Sur cette question, une partie de la presse française comme Le Monde ou des éditorialistes tels Alain Duhamel, Ruth Elkrief ou Dominique de Montvalon sont au diapason des anti-Brexit et de la macronie. La députée européenne de La République en marche (LREM) Nathalie Loiseau se révèle on ne peut plus claire sur RFI et France 24 le 6 septembre : Boris Johnson «est dans le populisme» et le «déni de démocratie» quand il décide de suspendre le Parlement britannique pour accélérer le proccessus d'un Brexit sans accord (no deal).

Il est donc loin le temps où Boris Johnson était perçu comme le maire libéral, talentueux, certes un peu excentrique, de Londres (entre 2008 et 2016). Selon eux, l'ultralibéral conservateur Boris Johnson serait désormais tombé dans le côté obscur de la politique pour avoir fait le choix de trouver tous les outils du droit pour mettre en œuvre la volonté populaire du Brexit. 

Les anti-Brexit ont bien tenté d'annuler la suspension du Parlement britannique, mais la Haute Cour de justice à Londres a rejeté cette demande le 6 septembre. Décriée comme une manœuvre pour précipiter le pays vers un Brexit sans accord, cette suspension du Parlement pour cinq semaines jusqu'au 14 octobre avait provoqué la fureur de l'opposition mais aussi de députés conservateurs. En réalité, le parlement britannique met tout en œuvre depuis trois ans pour empêcher la formalisation du Brexit. Un statu quo qui a d'ailleurs coûté la peau politique de l'ex-Premier ministre Theresa May qui a essayé de proposer en vain au sein de la chambre des plans Brexit avec accord de l'Union européenne (UE).

Les parlementaires anti-Brexit se sont ainsi coalisés (de l'opposition de gauche à celle de droite) le 4 septembre pour exiger du Premier ministre actuel de solliciter, auprès de Bruxelles, un nouveau report de trois mois du Brexit, jusqu'au 31 janvier 2020, si aucun accord n'est conclu avec l'UE d'ici au 19 octobre. Harassé par les freins des anti-Brexit, «l'anti-démocratique» Boris Johnson avait donc proposé le 4 septembre à la Chambre des Communes des élections anticipées pour récupérer la majorité qu'il a perdue cette semaine, et pouvoir sortir, coûte que coûte, de l'Union européenne, avec ou sans accord, le 31 octobre. Les députés anti-Brexit étant plus nombreux, sa proposition a échoué.

Le gouvernement britannique entend de nouveau soumettre le 9 septembre au vote des députés une motion pour organiser des élections avant la fin octobre, qui doit réunir les deux-tiers des voix pour être adoptée. Le parti d'opposition, le Labour, serait prêt à accepter un tel projet, car persuadé de renverser les Communes... à la condition que le gouvernement accepte le report du Brexit.

Le double discours des anti-Brexit critiqué 

En France, d'autres analyses tentent de fait de prendre le contrepied du climat ambiant anti-Johnson. Sans défendre directement le chef du gouvernement conservateur, celles-ci s'interrogent davantage sur la le double discours des zélotes anti-Brexit et auto-proclamés défenseurs de la démocratie représentative. «L'opposition britannique qui hurle à la dictature le lundi [2 septembre] parce que Johnson suspend le Parlement cinq semaines et qui, le mercredi [4 septembre], vote CONTRE la tenue d'élections générales le 15 octobre, ça me pose question "quelque part"», se questionne ainsi l'essayiste, spécialisée sur l'Union européenne, Coralie Delaume. Elle ajoute sur Facebook : «Ils ne veulent pas du Brexit soft de May, ils ne veulent pas de la perspective d'un no deal, ils ne veulent pas de nouvelles élections. On pourrait PRESQUE penser qu'ils essaient de faire échouer le Brexit.»

Le chantage permanent des parlementaires britanniques à repousser l'idée du Brexit, voulu par son peuple, est l'une des démonstrations pour Natacha Polony, dans Marianne, le 5 septembre, que la démocratie représentative est malade : «On trouve l'idée que les élus instrumentaliseraient les institutions pour contrer la volonté des citoyens [...] La démocratie représentative ne fonctionne que quand les représentants représentent. C'est-à-dire quand ils respectent la volonté des représentés. Force est de constater que ce n'est plus le cas [...] "Les peuples contre la démocratie" est devenu le slogan de ceux qui font mine de s'inquiéter. Il est le résultat de décennies de démocratie contre les peuples.»

Ce que Natacha Polony décrit ici ressemble au concept de post-démocratie développé par Colin Crouch. Peut-être que le Royaume-Uni vit, en 2019, un moment politique que la France a connu en 2008. Ce moment où le Congrès, réunissant les députés et sénateurs français, acceptait de ratifier le traité de Lisbonne et s'asseoir ainsi sur le vote en 2005 du peuple français qui refusait alors le traité constitutionnel européen.

L'avocat et député Les Républicains de Seine-et-Marne, Jean-Louis Thiériot, est par ailleurs circonspect dans Le Figaro du 4 septembre au vu de la tournure que prend la bataille entre le Parlement, le peuple et son gouvernement : «Dans le bras de fer avec le Parlement, les fautes sont largement partagées. Quoi qu’on pense du Brexit, le peuple britannique a voté en sa faveur par référendum – l’auteur de ces lignes le regrette –, mais c’est Westminster qui, à trois reprises, a rejeté le projet d’accord avec l’Union européenne de Theresa May, qui aurait permis une sortie organisée. Boris Johnson a beau jeu de dire qu’incapables de s’accorder sur les termes du divorce, les parlementaires sont malvenus de s’opposer à une sortie sans accord.»

Sur le plateau de BFM TV le 5 septembre, l'essayiste conservatrice Eugénie Bastié juge que le Brexit montre «l'échec du Parlement britannique» : «En effet, Johnson passe en force, il proroge le Parlement mais il n'a pas d'autres choix en vérité [...] avec l'impossibilité du no deal, il lui manque son moyen de pression vis-à-vis de l'Union européenne. Il y a une faillite du parlementarisme anglais.» Elle estime d'ailleurs que le blocage du Parlement britannique sur le long-terme «mine la défiance dans la démocratie».

La démocratie a mal. Les Britanniques ont peut-être mal voté en 2016. Peu importe, ils ont voté. Qualifier les uns de «populistes» parce qu'ils désirent enfin appliquer politiquement un choix populaire n'est peut-être pas le meilleur moyen de défendre l'esprit démocratique.

Bastien Gouly