La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné le 27 août la Russie pour de multiples violations des droits de l'homme dans l'affaire de la mort en prison en 2009 du juriste Sergueï Magnitsky, qui avait dénoncé un important réseau de corruption de fonctionnaires russes.
La Cour a notamment souligné les mauvais traitements que lui avaient infligés ses gardiens et l'absence d'enquête efficace sur ces faits, les carences dans les soins médicaux et le fait que son procès et sa condamnation à titre posthume, «intrinsèquement inadéquate», n'avait pas respecté son droit à un procès équitable. L'institution reproche aux autorités russes de multiples violations des droits fondamentaux dans ce dossier.
La CEDH avait été saisie par Sergueï Magnitsky lui-même puis, après sa mort, par son épouse et sa mère. La Cour a condamné la Russie à verser 34 000 euros à l'épouse et à la mère du défunt pour dommage moral. Elle a en outre condamné la Russie pour maintien excessif en détention provisoire.
L'affaire a débuté en 2007 lorsque la police a perquisitionné et saisi des documents au siège du fonds d’investissement Hermitage Capital en Russie. Pour connaître les raisons de cette saisie, son président William Browder missionne l'avocat fiscaliste Sergueï Magnitsky. Ce dernier repère des malversations portant sur 150 millions de dollars dans les comptes et porte plainte pour fraude fiscale d'ampleur orchestrée par des fonctionnaires russes au détriment de l'Etat russe. En novembre 2008, Sergueï Magnitsky est arrêté pour fraude fiscale présumée opérée pour le compte de son client William Browder en 2001.
En novembre 2009, le prévenu est mort dans un centre de détention provisoire, des suites d'une cardiomyopathie, selon les rapports russes. Les documents statuent qu'il souffrait d'une pancréatite et d'autres affections non traitées.
La relation entre Washington et Moscou à l'épreuve de la loi Magnitsky
William Browder, en délicatesse avec les autorités russes, a alors allégué que le décès du juriste était dû à de mauvais traitements, voire même qu’il avait été assassiné. Il s'est attaché à favoriser l’adoption de la «loi Magnitsky». Elle sanctionnait et privait de visa américain une soixantaine de Russes qui, d’après Hermitage Capital, seraient responsables de la mort de l’avocat. Le département d'Etat américain prit une première mesure en juillet 2011 consistant à dresser une liste noire de juges, d'avocats, de percepteurs du fisc, d'autorités policières et de médecins soupçonnés d'être impliqués dans la mort de Sergueï Magnitsky.
Moscou avait répliqué en 2011 en dressant une liste d'Américains interdits de visa en Russie. Cette nouvelle liste noire comportait les noms de onze personnes «responsables de graves violations des droits de l'homme» dans les geôles de Guantanamo ou encore Abou Ghraib.
Un an plus tard, la mesure américaine initiale a évolué, devenant un projet de loi. Cette fois, elle vise toutes les personnes qui, du point de vue de Washington, violent les droits de l’homme en Russie, bien au-delà de l'affaire de l'avocat russe. Le Magnitsky Act a été voté au Congrès et signé par Barack Obama le 14 décembre 2012. Il a permis de geler les éventuels biens et intérêts aux Etats-Unis de responsables russes interdits de pénétrer sur le territoire américain parce que coupables, selon Washington, de graves atteintes aux droits de l'homme. Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov est ainsi visé par cette loi.
Cette affaire aux relents de guerre froide a durablement détérioré les relations entre Washington et Moscou. Et l'acharnement de Bill Browder à renforcer la loi Magnitsky s'est poursuivi et a impliqué d'autres conséquences. La loi s'est encore renforcée avec la création du Global Magnitsky Act, voté en 2016, qui sanctionne les officiels de tout gouvernement étranger impliqués dans des violations des droits de l'homme. La loi avait à l'époque reçu un accueil mitigé, plus de 100 000 personnes ayant signé une pétition exigeant son retrait, et ce en deux semaines. D'autres pays, même s'ils n'étaient pas concernés par cette affaire, ont lancé leur propre loi, tels que le Canada, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie ou encore le Royaume-Uni, afin de sanctionner les auteurs de violations des droits de l'homme ou à lutter contre la corruption, avec ou sans mention du nom de l'avocat.
Bill Browder ne compte pas d'arrêter là. Il veut désormais convaincre d'autres pays, comme la Suède ou l'Italie, de concocter leur propre mouture du Magnitsky Act. En mai dernier, il a même jeté son dévolu sur la France pour sanctionner les oligarques russes. Il a été auditionné par les députés français de la commission des Affaires étrangères à Paris. Même si l'homme d'affaires dit avoir remporté un grand soutien chez les parlementaires, selon le JDD, il est conscient que la tâche sera difficile.
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