Le ministère de l'Intérieur a indiqué le 11 juin que les poursuites pour trafic de drogue entreprises contre le journaliste d'investigation Ivan Golounov avaient été abandonnées, et que son assignation à résidence allait être levée. «Le pouvoir a entendu la société», s'est aussitôt félicité le site internet indépendant Meduza qui emploie ce reporter de 36 ans, promettant de poursuivre son travail d'enquête pour déterminer les responsables de «l'opération» orchestrée contre lui.
L'affaire, qui a eu un fort retentissement en Russie, a commencé le 8 juin dernier, lorsque Ivan Golounov a été inculpé pour tentative de trafic de drogue. Il avait été interpellé le 6 juin à Moscou avec quatre grammes de méphédrone, une drogue de synthèse, retrouvés dans son sac à dos. Les autorités avaient dans la foulée procédé à une perquisition à son domicile, au cours de laquelle d'autres sachets contenant des stupéfiants et une balance avaient été découverts, selon un communiqué diffusé par la police.
Des zones d'ombre agitant les réseaux sociaux
Mais, immédiatement, le mobile de son arrestation a suscité une avalanche de questions, renforcées par les accusations de «coup monté» émises par l'avocat du journaliste, Dmitri Djoulaï. «Nous estimons que quelqu'un a pu introduire ce sachet pendant l'interpellation. En fait au cours de son interpellation, on lui a arraché par la force son sac à dos. De plus à l'UVD [département des affaires intérieures], le sac se trouvait pendant un long moment dans une pièce, avec des policiers. C'était très facile pour eux d'y introduire n'importe quoi», avait expliqué Dmitri Djoulaï.
Et les doutes du public russe comme ceux des confrères du journaliste se sont répandus comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, à mesure que les zones pour le moins troubles autour de l'affaire se faisaient jour. Notamment lorsque les autorités ont publié une série de photos de ce qu'elles présentaient comme des appareils artisanaux servant à fabriquer de la drogue de synthèse. Or toutes ces photos — à l'exception d'une — ont rapidement été retirées, la police ayant reconnu qu'elles étaient liées à une autre affaire.
Dès lors, chaque nouvel élément est venu renforcer les nombreuses questions autour de cette affaire. Les conditions de détention d'Ivan Golounov, qui a passé 14h sans pouvoir contacter son avocat, et aurait été selon ce dernier frappé à deux reprises pendant sa détention, ont ainsi interpellé l'opinion. Puis, le fait que les autorités ont refusé de prendre des échantillons des ongles du journaliste pour déterminer s'il avait oui ou non touché la drogue, ont achevé d'alerter la société civile, qui s'est alors démenée pour que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
Solidarité médiatique
Après une première manifestation d'une centaine de personnes devant le siège du ministère de l'Intérieur à Moscou pour protester contre son arrestation dès le 7 juin, la presse nationale a pris le relais.
Trois quotidiens de référence, Vedomosti, Kommersant et RBK, ont ainsi publié la même Une, en soutien au journaliste. Titrée : «Je suis/Nous sommes Ivan Golounov», les quotidiens demandaient l'ouverture d'une enquête détaillée sur la conformité avec la loi des actions des fonctionnaires impliqués dans l’arrestation du journaliste.
Dans une lettre ouverte, des centaines de journalistes russes, de médias de différents bords politiques, avaient par ailleurs exigé qu'Ivan Golounov soit immédiatement relâché, le considérant victime d'une «grossière et ridicule provocation». «Les autorités doivent répondre à toutes les questions que la société se pose sur cette arrestation. Pour la simple raison que la société en a vraiment, vraiment beaucoup», avait pour sa part commenté la rédactrice en chef monde de RT, Margarita Simonian dès le 7 juin.
Après la levée des poursuites visant Ivan Golounov, son nouvel avocat Sergueï Badamchine a d'ailleurs salué le rôle joué, selon lui, par la société civile et en particulier les journalistes. «C’est surtout grâce au très large soutien du public et à celui de ses collègues journalistes, indépendamment de leurs orientations politiques [que cette décision a été prise]», a-t-il déclaré, ajoutant : «Tous ceux qui ont contribué aux efforts communs — en participant à des piquets, en couvrant ce sujet et en signant des pétitions — tous ensemble, ils ont fait en sorte que cette affaire ne soit pas tue, qu'elle ne soit pas étouffée.»
Deux responsables de la police limogés
Si l'affaire s'est terminée avec la levée des poursuites, c'est maintenant au tour des autorités qui ont mené l'enquête de se retrouver sur le banc des accusés. Le ministre de l'Intérieur russe Vladimir Kolokoltsev, a indiqué que des agents ayant participé à l'enquête sur le journaliste avaient été suspendus dans le cadre d'une enquête interne. La justice russe est désormais chargée d'évaluer «la légalité des actions des policiers qui ont interpellé» le journaliste le 6 juin à Moscou, et qui affirmaient avoir trouvé d'importantes quantités de drogue dans son sac à dos puis au cours d'une perquisition dans son appartement.
En outre, deux hauts responsables de la police seront limogés : le général de la police Andreï Poutchkov, responsable des forces de l'ordre dans le district ouest de la capitale russe, et le général Iouri Deviatkine, qui dirige l'antenne moscovite du Département de la lutte contre le trafic de drogue. «Les droits de tout citoyen, indépendamment de son activité professionnelle, doivent toujours être protégés», a souligné le ministre.
Mais cela suffira-t-il a calmer une opinion publique indignée par cette affaire ? Réponse le 16 juin prochain, à l'occasion d'une manifestation en soutien au journaliste à Moscou autorisée par les autorités.