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Les tensions dans les Balkans annoncent-elles un chantage de l'UE à la Serbie sur le Kosovo ?

En dépit de leur passé très trouble, les dirigeants kosovars ont toujours bénéficié du soutien des occidentaux. A quelques semaines d'un sommet où sera discuté l'adhésion de Belgrade à l'UE, le regain des tensions dans la région interpelle.

Sous l'œil au mieux passif de l'OTAN, qui dirige pourtant «une opération de soutien de la paix» au Kosovo depuis 1999, la tension entre Belgrade et Pristina connaît un nouveau pic. L'intervention de la police kosovare dans la nord de la région à majorité serbe – visant, d’après les autorités de Pristina, au démantèlement d’un réseau de corruption, de contrebande et de crime organisé au sein de la police et des douanes – a suscité une violente réaction des habitants.

Il faut dire que la légitimité des autorités kosovares reste sujette à caution. D'une part, le Kosovo, qui n'a pas été reconnu par la Russie ni par la Chine, n'est pas membre de l'ONU et n'est donc officiellement pas un Etat indépendant. D'autre part, les dirigeants de cet Etat autoproclamé ont un passé pour le moins trouble, au sein la fameuse force paramilitaire UçK. L'Armée de libération du Kosovo, ou UçK, a combattu pour l'indépendance du Kosovo à la fin des années 1990. Le mouvement a fait l'objet de nombreuses accusations de crimes contre l’humanité pour, entre autres, des faits de trafic d'organes et d'épuration ethnique à l'encontre des populations serbes et roms.

UçK, crime organisé : des dirigeants au passé trouble

Ancien chef militaire de l'UçK, l'actuel Premier ministre Ramush Haradinaj a été traîné à ce titre devant plusieurs tribunaux. Il a notamment été inculpé en mars 2005 par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye pour des crimes de guerre. Il a fini par être acquitté en 2012 après de nombreux rebondissements, ce qui a suscité de nombreuses critiques contre le TPIY, notamment en raison du manque de mesures de sécurité prises par la Cour pour lutter contre les tentatives d'intimidation des témoins.

Hashim Thaçi, le président actuel, est lui aussi lié à l'UçK puisqu'il a participé à la fondation du Parti démocratique du Kosovo, la branche politique de l'organisation paramilitaire. Selon un rapport explosif du sénateur suisse Dick Marty au Conseil de l'Europe, en 2010, Hashim Thaçi serait qui plus est à la tête du groupe criminel de Drenica, soupçonné notamment de trafic d'organes prélevés sur des prisonniers, principalement serbes, entre 1998 et 2000. Poursuivi par des tribunaux italiens depuis 2006, l'actuel président du Kosovo n'a pourtant jamais été vraiment inquiété.

«Il s'en sont sortis à chaque fois parce qu'ils ont des protections importantes. Madame [Carla] Del Ponte [l'ex-procureur du TPIY] me l'a dit, ils ont obtenu l'autorisation et la protection, qui vient de très haut, de la part des Etats-Unis», avance Alexis Troude, chercheur en géopolitique spécialiste des Balkans, au micro de RT France.

Ils ont des protections importantes

Il est évident que les deux hommes disposent d'appuis puissant au sein des démocraties occidentales. Le 4 janvier 2017, Ramush Haradinaj est arrêté en France, sur la base d'un mandat d'arrêt international émis par la Serbie. Trois mois plus tard, la justice française rejette son extradition et lève son contrôle judiciaire, provoquant le rappel par la Serbie de son ambassadeur en France. 

Quant à Hashim Thaçi, il avait été arrêté à l'aéroport de Budapest en juin 2003, lui aussi sur la base d'un mandat d'arrêt international lancé par Belgrade. Il sera finalement libéré suite à une intervention du chef de la Mission des Nations unies au Kosovo, l’Allemand Michael Steiner. Et il n'est pas interdit de s'interroger sur le rôle joué par la diplomatie française dans cette libération, étant donné la proximité qui existe entre Hashim Thaçi et l'eurodéputé LR Arnaud Danjean. Personnellement invité à la cérémonie d'indépendance du pays par Hashim Thaçi, cet ancien du département Balkans de la DGSE n'a jamais caché que le président du Kosovo était resté un de ses interlocuteurs «pendant près de neuf ans, durant lesquels a été négocié le statut du Kosovo».

Les occidentaux qui continuent de soutenir les deux hommes ne peuvent pourtant pas prétendre ignorer leur passé. En 2011, un document de l’OTAN, publié dans le quotidien britannique The Guardian, a par exemple révélé que des membres haut placés de l’organisation Atlantique savaient parfaitement qu'Hashim Thaçi était un «des plus gros poissons» du crime organisé au Kosovo.

«Le pseudo Etat du Kosovo a été fondé sur le crime organisé. Il a été donné à des criminels organisés. Il est gouverné par des criminels organisés qui ont notamment été mis en cause dans le trafic d'organes humains dans le rapport du sénateur suisse Dick Marty au Conseil de l'Europe. Ce n'est pas exactement la force à laquelle on peut se fier pour lutter contre le crime organisé dans les Balkans», souligne ainsi Slobodan Despot, écrivain et directeur d'antipresse.net, au micro de RT France, revenant sur les raisons avancées par la police kosovare pour intervenir dans le nord de la région.

Escalade planifiée ?

Si la situation est désormais explosive dans la région, c'est que les autorités pensent pouvoir en tirer profit. En novembre dernier, le Kosovo avait d'ailleurs planté une première banderille en augmentant à 100% la taxe douanière sur les produits serbes. Une décision prise au lendemain de son nouvel échec d'adhésion à Interpol et qui se voulait une réponse à «l'agressivité de la Serbie contre le Kosovo par tous les moyens», selon le Premier ministre Ramush Haradinaj.

Pour Mitar Kovac, président du Forum eurasiatique pour la sécurité, l'introduction de cette taxe n'était qu'un «prétexte formel pour aggraver la situation». «Je pense qu'il s'agit d'une escalade planifiée dont Pristina a besoin pour instaurer son contrôle sur le nord serbe du Kosovo», avait ainsi confié en décembre dernier le major général serbe à la retraite, à Sputnik.

Difficile de lui donner tort aujourd'hui alors que la police kosovare vient de franchir un nouveau cap en balayant d'un revers de la main les accords de Belgrade de 2013 (qui doivent permettre à la Serbie d'engager ses négociations d'adhésion à l'UE) qui stipulaient que les quatre municipalités du Kosovo nord où elle est intervenue devait disposer d'un statut d'autonomie. «Non seulement ils n'ont pas d'autonomie, mais la police albanaise, avec d'ancien membre d'UçK, comme au Far West, se permet de prendre des Serbes, des Albanais, des Bosniaques, des Roms, un Russe, mais aussi de molester de simples habitants – ils ont tirés sur plusieurs habitants qui se réfugiaient dans leurs maisons – et ils font régner la terreur», note ainsi Alexis Troude.

Chantage de l'UE sur l'adhésion de la Serbie?

Le président serbe Aleksandar Vucic a réagi en mettant toutes les unités des forces armées de son pays en état d'alerte mais le chef d'Etat, qui doit rencontrer Hashim Thaçi lors d'un sommet avec la chancelière Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron le 2 juillet prochain, est dans une position délicate. Selon le chercheur en géopolitique Alexis Troude, l'UE compte mettre le Kosovo dans la balance d'une éventuelle adhésion de Belgrade. «L'enjeu est énorme. Ce qui se joue, c'est ni plus ni moins un chantage qu'on impose à la Serbie, c'est-à-dire, vous rentrez dans l'UE au prix du sacrifice de votre province méridionale», explique l'expert, avant de souligner que Belgrade ne pourra «jamais accepter la perte d'une province qui est son cœur historique».

L'opposition serbe craint pourtant qu'Aleksandar Vucic ne prépare son peuple à un changement de doctrine sur cette question. Miroslav Aleksic, vice-président du Parti du peuple, parti de l'opposition serbe, a ainsi dénoncé les violences du 28 mai comme «une terrible manipulation», «le début du dernier acte d'une pièce» jouée de concert par Aleksandar Vucic et les responsables kosovars. Selon lui, en faisant monter à dessein la tension, le président serbe préparerait son opinion à l'abandon du Kosovo : «Soit nous reconnaissons le Kosovo, soit nos enfants vont encore mourir.»

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