Un document, daté de février 2019 et présentant des observations attribuées à la mission d'enquête de l'OIAC dépêchée dans la ville syrienne de Douma, théâtre d’une attaque chimique présumée en avril 2018, pourrait, si son authenticité venait à être confirmée, contredire les conclusions officielles rendues par ce même organe. Le texte établit en effet que deux barils de chlore retrouvés à Douma auraient été placés là «manuellement», et non pas largués depuis les airs, comme le laissait entendre le rapport final de l'OIAC rendu public le 1er mars 2019.
La note, présentée comme un «premier jet» et dont les éléments n'ont pas été repris dans le rapport final rendu par l'organisme chargé d’appliquer les dispositions de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, porte la signature de Ian Henderson.
Si ce dernier ne s'est pas officiellement manifesté sur l'authenticité de ce document déclassifié, ni sur les éléments qu'il met en lumière, le nom de I. Henderson figure en revanche sur une liste de chefs d'équipes d'inspection de l'OIAC dans un rapport daté de 1998. Son nom figure également dans un autre rapport de l'organisation daté du 2 février 2018, où il est toujours présenté comme «chef d'équipe d'inspections de l'OIAC».
Une attaque présumée suivie de frappes occidentales
Début avril 2018, alors que la bataille de la Ghouta orientale touchait à sa fin et que la dernière poche du groupe terroriste islamiste Jaych al-Islam à Douma était sur le point de se rendre, encerclée par l'armée syrienne, les Casques blancs (groupe controversé se présentant comme un organisme humanitaire) affirmaient qu'une attaque chimique avait eu lieu, tuant une quarantaine de personnes.
Rapidement imputée aux forces gouvernementales syriennes par les Occidentaux, sans attendre l'ouverture d'une enquête, l'attaque présumée était suivie de frappes de Washington, Paris et Londres sur des infrastructures syriennes dans la nuit du 13 au 14 avril et d'un pic de tension diplomatique.
Le rapport final de la mission d'établissement des faits n'a pas été signé. Aucun nom n’y a été mentionné. C’est très inhabituel pour les rapports finaux de l’OIAC
Si le texte final publié en mars 2019 par l'OIAC reconnait l’absence de l’utilisation de gaz sarin sur les lieux de l’attaque présumée, il fait état de «motifs raisonnables pour penser qu'un agent chimique toxique a été utilisé comme arme». Sur ce point précis, l'organisation affirme sans réserve que des barils de chlore ont été largués depuis les airs, laissant ainsi supposer que l’armée syrienne est à l’origine de l’opération.
Deux barils de chlore placés «manuellement», et non «largués depuis les airs» ?
Pourtant, les constats des membres de la mission d'enquête viendraient notamment contredire ce point précis : «Les observations faites sur place, combinées avec une analyse ultérieure, montrent qu’il y a une forte probabilité que les deux barils [étudiés par les experts] aient été placés à ces deux endroits manuellement, plutôt que largués depuis les airs», assurent-ils. Dans le rapport officiel, les enquêteurs avaient en revanche conclus que les barils, «avaient percé le plafond [en béton]» avant d'être retrouvé sur le lieux de l'enquête.
Depuis la révélation du document, et à l'heure d'écrire ces lignes, l'OIAC n’a pas démenti son authenticité. L'éditorialiste britannique Peter Hitchens, qui s’interrogeait sur les révélations apportées par ce document, affirme s'être vu répondre par l'OIAC que l'organisation «menait une enquête interne sur la divulgation non autorisée du document en question».
L'organisme ayant révélé le document est le Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias. Composé en majorité de personnalités du monde universitaire, cet organisme assure n’avoir aucun conflit d’intérêt avec un pays ou encore une organisation non gouvernementale. Parmi les individualités composant le groupe, on retrouve notamment la journaliste indépendante Vanessa Beeley, connue pour sa remise en cause du traitement du conflit syrien par les médias traditionnels.
Son co-directeur, Piers Robinson, universitaire britannique, a confié à RT ses doutes quant à la véracité des informations publiées dans le rapport final de l'OIAC : «Le rapport final de la mission d'établissement des faits n'a pas été signé. Aucun nom n’y a été mentionné. C’est très inhabituel pour les rapports finaux de l’OIAC.» Piers Robinson s'interroge également sur la possibilité d'éventuelles «pressions politiques» qui «auraient été exercées sur l’OIAC» à Paris, Londres ou Washington pour la contraindre à supprimer un rapport technique interne contredisant la version officielle.
Damas a toujours nié avoir été responsable d'une quelconque attaque chimique à Douma, ce qui est également la position de Moscou. Le 16 février encore, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov affirmait : «Il a été établi par nos militaires que les vidéos diffusées par les Casques blancs sont une mise en scène et que le chlore a pu être utilisé comme un élément de provocation.»
Une position proche de celle (à rebours du plus grand nombre) de certains journalistes, comme, dernier en date, Riam Dalati, de la BBC. Celui-ci affirmait ainsi dans une série de messages sur Twitter le 14 février : «Après presque six mois d’enquêtes, je peux prouver et ce sans aucun doute que la scène de l'hôpital de Douma a été mise en scène. Aucun décès n'est survenu à l'hôpital.»