L'affaire SNC-Lavalin continue d'embarrasser le Premier ministre canadien Justin Trudeau. Son ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould qu'on appelle au Canada procureur général, a maintenu ses réserves à l'égard de la façon dont l'exécutif canadien aborde la question de ce géant québécois du BTP, pointé du doigt pour sa proximité avec la Libye de Mouammar Kadhafi.
Ce 30 mars, Jody Wilson-Raybould a fourni à une commission parlementaire chargée d'enquêter sur l'affaire de nouveaux documents, dont une conversation téléphonique avec le plus haut fonctionnaire du Canada, le greffier du Conseil privé Michael Wernick, qu'elle a enregistrée à son insu. «L’ingérence par la procureure générale dans l’exercice indépendant [de la directrice des poursuites pénales] est un cas exceptionnel qui n’a jamais été appliqué à ce jour», a-t-elle fait valoir, commentant ses propres prérogatives. «[Ce pouvoir] est limité et doit uniquement être appliqué dans des circonstances tout à fait exceptionnelles», a-t-elle encore argumenté, citée par le quotidien montréalais Le Devoir.
Jody Wilson-Raybould avait démissionné en février après avoir subi, selon elle, des pressions qu'elle avait qualifiées d'«inappropriées», de la part de Justin Trudeau et de son entourage, afin qu'elle évite, en sa qualité de procureur général, un procès à la société canadienne SNC-Lavalin. Dans cet enregistrement, qui a été rendu public, Michael Wernick assurait que le Justin Trudeau voulait «parvenir à ses fins d'une façon ou d'une autre», selon une retranscription de la conversation citée par l'AFP, précisant que le gouvernement ferait «tout ce qui est en son pouvoir pour éviter la perte de 9 000 emplois», l'effectif canadien de SNC-Lavalin. Dans ce même échange enregistré, Jody Wilson-Raybould rétorquait à Michael Wernick, dont le rôle est de conseiller le Premier ministre canadien d'un point de vue administratif et neutre, que cette conversion était «absolument inappropriée». «Cela constitue de l'ingérence politique», avait-elle encore lancé à son interlocuteur. Et d'ajouter, pour contrer les arguments de Michael Wernick : «Il ne s'agit pas de sauver des emplois, il s'agit de faire ingérence dans les affaires d'une de nos institutions fondamentales… Cela revient à violer le principe constitutionnel de l'indépendance judiciaire.»
Justin Trudeau en «complet désaccord» avec la vision de Jody Wilson-Raybould
Interpellé par des journalistes le 27 février lors d'une conférence de presse qui avait pour but de souligner la victoire d'une députée de son camp dans la région de Montréal, le Premier ministre canadien a dû répondre des accusations formulées à son endroit et a assuré que son équipe et lui-même avaient «toujours agi de façon appropriée».
Il a toutefois admis qu'il avait discuté de la possible perte de 9 000 emplois à SNC-Lavalin, si la firme d'ingénierie n'obtenait pas d'accord pour éviter un procès criminel. Il a affirmé que, à son sens, cette démarche était légitime : «Nous allons toujours nous concentrer sur les emplois et l'économie [...] Alors que nous gouvernons pour le bien de tous les Canadiens, nous agirons toujours de façon appropriée», a-t-il promis. Et de nier énergiquement toute allégation d'ingérence politique dans cette affaire, après avoir assuré qu'il était «complètement en désaccord avec la caractérisation des événements par l'ex-procureur général».
Le groupe québécois SNC-Lavalin est accusé depuis 2015 de corruption pour avoir versé 48 millions de dollars canadiens de pots de vin (32 millions d'euros) à des responsables libyens du temps de Mouammar Kadhafi, entre 2001 et 2011, pour décrocher d'importants contrats dans ce pays. Or, le groupe québécois, basé à Montréal, est l'un des principaux employeurs privés du Canada, avec 9 000 salariés. En cas de condamnation pénale, SNC-Lavalin se verrait interdire tout contrat public pendant 10 ans au Canada, ce qui menacerait son avenir économique.