Le 20 mars, la Ville de Montréal a décidé le retrait du crucifix qui ornait depuis plus de 80 ans la salle du conseil municipal. «On vit maintenant dans une société qui a énormément évolué et qui est représentée par des institutions qui sont démocratiques, qui se doivent d'être laïques, d'être neutres et d'être ouvertes à l'ensemble des citoyens», a justifié Laurence Lavigne-Lalonde, conseillère de la ville et membre de son comité exécutif, rappelant qu'en 1987, l’administration avait déjà aboli la prière à l’ouverture des séances du conseil.
Une annonce dont le timing ne doit rien au hasard. Le Premier ministre québécois, François Legault, au pouvoir dans la Belle Province depuis octobre 2018, doit en effet déposer le 28 mars un projet de loi sur la laïcité. Une antienne dans une région où les cas médiatisés d'«accommodements raisonnables» – un concept de droit canadien désignant les tentatives de s'accommoder des exigences des différentes minorités au sein de la société civile – font régulièrement polémique. Pour border cette notion, une Charte des valeurs québécoises avait été proposée en 2007 : elle avait pour but d'établir «des règles communes pour vivre dans un Etat laïc et pour baliser les demandes d’accommodement». Jamais adoptée, les questions autour des droits des minorités religieuses dans le cadre des services publics sont jusqu'alors traitées au cas par cas. En témoigne le vote en 2017 d'une loi interdisant le port du voile intégral dans les transports, à l'école, à l'hôpital ou encore dans les administrations : une des promesses de campagne du Premier ministre de l'époque Philippe Couillard ; l'opposition avait, elle, dénoncé un texte menaçant le «vivre-ensemble».
Le crucifix de l'Assemblée nationale cristallise le débat
Il y a plus de dix ans, les recommandations de la Commission Bouchard-Taylor – connue sous le nom de Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles – avaient déjà suscité de nombreux débats.
La question de la présence d'un crucifix à l'Assemblée nationale du Québec était l'objet d'une proposition de la Commission, qui préconisait de le retirer et de l'exposer dans une autre salle du parlement. Une initiative alors massivement rejetée par les députés réclamant son maintien au nom du patrimoine et de l'histoire du Québec.
Cette question divise toujours la société québécoise et cristallise le débat jusque dans les troupes de la Coalition avenir Québec (CAQ), le parti du chef du gouvernement. Ainsi, le ministre de l’Immigration, Simon Jolin Barrette, est enclin à le maintenir, à titre «d’objet patrimonial». François Legault, plutôt du même avis à ce sujet selon nombre de commentateurs, aurait pourtant récemment confié qu'il s’en remettrait aux souhaits des parlementaires. Que contiendra le projet présenté par la majorité ? Sera-ce un texte d'application générale ou une règle comportant une clause dérogatoire permettant à certains de conserver des signes religieux ostentatoires ?
La semaine du 18 mars, le quotidien La Presse rapportait que le projet de loi prévoirait une clause de droits acquis, connue sous le nom de clause «grand-père». Elle doit permettre aux employés visés par la loi de conserver leurs signes religieux s'ils ont été embauchés avant son adoption.
D’aucuns supputent que la CAQ souhaite en fait faire appliquer mot à mot les recommandations du rapport Bouchard-Taylor qui préconisait l'interdiction pure et simple du port de tout signe religieux pour les juges, les policiers, les gardiens de prison et les procureurs. François Legault pourrait cependant consentir à des exceptions. Il est en effet sous pression médiatique après avoir – comme promis – durci la politique migratoire de l'ancienne Nouvelle-France, en réduisant d'environ 40 000 personnes le nombre d'immigrés et en augmentant les critères applicables aux nouveaux arrivants, notamment en termes de diplômes et de maîtrise du français. Un imbroglio autour de 18 000 dossiers d'immigration en attente qui ont finalement été annulés a par ailleurs suscité de nombreuses critiques.