Si l'annonce, le 31 octobre, de l'acquittement de la Pakistanaise, condamnée à mort en 2010 pour blasphème, a été accueillie avec joie par la minorité chrétienne du Pakistan, d'importantes manifestations de radicaux islamistes ont lieu jour et nuit dans plusieurs villes du pays pour protester contre le verdict.
L’organisation caritative SOS Chrétiens d'Orient a partagé sur son compte Twitter de nombreuses vidéos de ces manifestations dans lesquelles on peut constater la détermination et la véhémence des manifestants, dont beaucoup sont armés de bâtons. Selon l'organisation, les défenseurs d'Asia Bibi sont désormais en danger : «Sans protection, ils ne survivront pas un seul jour, car désormais n'importe quel fanatique peut les assassiner dans la rue».
Mère de cinq enfants, Asia Bibi avait été condamnée à la peine capitale pour blasphème à la suite d'une dispute avec une musulmane au sujet d'un verre d'eau.
L'annonce de son acquittement a provoqué la fureur des milieux islamistes radicaux, en particulier les partisans du mouvement Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), un parti politique islamiste radical, qui sont descendus par milliers dans les rues du pays, bloquant de nombreuses routes, saccageant et brûlant des magasins et des biens privés, criant des menaces de mort aux magistrats et à Asia Bibi et appelant l'armée à la mutinerie.
Les manifestants islamistes ont piétiné et battu, devant les caméras, à l'aide de leurs chaussures et de bâtons des affiches à l'effigie d'Imran Khan et de l'avocat d'Asia Bibi.
Qui sauvera l'avocat d'Asia Bibi et les juges qui l'ont acquittée ?
Face à la fureur des islamistes, Saif-ul-Mulook, l'avocat d'Asia Bibi, se demande à présent qui le sauvera lui. «Je suis très heureux. Ceci est le jour le plus important et le plus heureux de ma vie», a cependant déclaré cet homme de 62 ans.
Malgré les menaces, il dit ne rien regretter et vouloir poursuivre sa carrière sous le signe de la lutte contre l'intolérance. «Justice a été rendue, c'est une victoire pour Asia Bibi. Le verdict montre que les pauvres, les minorités et la fraction la plus modeste de la société peuvent obtenir justice dans ce pays en dépit de ses défauts», s'est-il félicité.
Cependant Saif-ul-Mulook se sent désormais dangereusement exposé. «Je n'ai absolument aucune protection. Pas de protection et je suis une cible très facile [...] N'importe qui peut me tuer», a-t-il affirmé. «Si vous vous occupez d'affaires de ce genre, vous devez être prêt à assumer les résultats et les conséquences», souligne-t-il. Selon lui, le jeu en vaut la chandelle. «Je pense qu'il vaut mieux mourir en homme fort et courageux que comme une souris peureuse», lance-t-il.
Des déclarations qui apparaissent comme héroïques quand on se souvient, le 4 janvier 2011, que le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait publiquement défendu Asia Bibi, avait été assassiné. Deux mois plus tard, le 2 mars de la même année, le ministre fédéral des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, catholique, qui l'avait lui aussi publiquement soutenue et avait appelé à un amendement de la loi sur le blasphème, a lui aussi été assassiné par des hommes se réclamant d'une mouvance islamiste.
Imran Khan met en garde les radicaux
Du côté des autorités pakistanaises, le Premier ministre Imran Khan, dans un discours transmis le 31 octobre à la télévision, a vivement critiqué les extrémistes. Il a appelé les Pakistanais à respecter le jugement et prévenu les manifestants que l'Etat ne «tolèrera pas le sabotage» et «prendra ses responsabilités» si nécessaire.
De nombreux Pakistanais saluaient ce 1er novembre la fermeté du Premier ministre face aux islamistes. Le chef du gouvernement a adopté «une ligne dure et sans équivoque contre le fanatisme religieux et la haine que nous n'avions pas vue depuis presque deux décennies», se félicite ce 1er novembre un chroniqueur du quotidien pakistanais Dawn, Khurram Husain. Les différents dirigeants pakistanais s'étaient jusqu'ici montrés beaucoup plus conciliants avec les islamistes, «ces forces minuscules mais très organisées, des forces de haine qui infectent notre appareil politique», souligne-t-il.
Pourtant, Imran Khan avait récemment encore été critiqué pour son soutien inconditionnel à la loi sur le blasphème, notamment lors de la campagne électorale qui a mené à son élection en juillet.
Malgré ce discours progressiste, rien ne suggérait ce 1er novembre, selon l'AFP, que les autorités aient l'intention de disperser les quelques milliers de manifestants qui continuaient de bloquer plusieurs carrefours à Lahore, Islamabad et Karachi.
On ne plaisante pas avec le blasphème
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible au Pakistan où l'islam est religion d'Etat. La loi prévoit jusqu'à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d'offense à l'islam. De simples allégations se terminent régulièrement par des lynchages aux mains de la foule ou d'extrémistes. Les chrétiens, minorité persécutée, sont fréquemment visés.
Le cas d'Asia Bibi avait eu un retentissement international, attirant l'attention des papes Benoît XVI et François. L'une des filles de la Pakistaine chrétienne a d'ailleurs rencontré le pape François à deux reprises.
Les nombreux soutiens internationaux d'Asia Bibi se sont réjouis de son acquittement. En France, sensible à la cause des chrétiens d'Orient, la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a affirmé sur son compte Twitter qu'il fallait accorder l'asile à Asia Bibi et à sa famille.
Une pétition a également été lancée sur Change.org pour demander que la France accorde la statut de réfugiée à Asia Bibi.
Une militante des droits de l'homme pakistanaise, Tahira Abdullah, a plaidé pour «une protection d'Etat pour Asia Bibi, ses partisans et son avocat». Pour le moment, son sort, après sa sortie de prison, reste indéterminé. Son mari Ashiq Masih avait estimé avant le verdict qu'elle devrait quitter le Pakistan si elle était libérée.