«Elle a été acquittée de toutes les accusations» : le 31 octobre le juge Saqib Nisar a annoncé le verdict très attendu de la Cour suprême du Pakistan sur le cas d'Asia Bibi, qui se trouve actuellement incarcérée dans une prison à Multan. Le juge a précisé que cette chrétienne, incarcérée depuis 2010 et condamnée à mort pour blasphème, allait être libérée «immédiatement».
En pratique, la libération d'Asia Bibi pourrait toutefois prendre plusieurs jours en raison de procédures bureaucratiques, selon son avocat, Saif-ul-Mulook. «Justice a été rendue, c'est une victoire pour Asia Bibi. Le verdict montre que les pauvres, les minorités et la fraction la plus modeste de la société peuvent obtenir justice dans ce pays en dépit de ses défauts», s'est-il encore félicité. «Je suis très heureux. Ceci est le jour le plus important et le plus heureux de ma vie», a-t-il confié à l'AFP.
Le verdict pourrait susciter la fureur des milieux religieux fondamentalistes islamistes qui appelaient de longue date à l'exécution d'Asia Bibi. Islamabad a été placée sous haute sécurité le 31 octobre, avec des barrages sur les routes notamment à proximité des quartiers où vivent les magistrats et la communauté diplomatique.
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible dans ce pays très conservateur où l'islam est religion d'Etat. Un ancien gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris la défense d'Asia Bibi, avait été abattu en plein cœur d'Islamabad en 2011 par son propre garde du corps. L'assassin, Mumtaz Qadri, pendu début 2016, avait été salué comme un héros par les islamistes conservateurs. Près de 100 000 personnes avaient participé à ses funérailles.
«Pas rester au Pakistan»
Paysanne et mère de cinq enfants, Asia Bibi avait eu une dispute avec une musulmane au sujet d'un verre d'eau. L’incident aurait commencé quand elle est allée chercher une tasse d’eau dans un puits pendant une chaude journée de cueillette de fruits. Selon son récit transcrit dans son autobiographie intitulée Blasphème, quand une femme musulmane l'a vue s'approcher de l'eau, elle aurait crié: «Ne bois pas cette eau, c'est haram [interdit] !» Elle s'est ensuite tournée vers les autres femmes présentes dans le champ, leur disant qu'Asia Bibi avait souillé l'eau du puits en en buvant. Plusieurs femmes l'ont ensuite qualifiée de «chrétienne immonde» et lui ont dit de se convertir à l'islam. «Je ne vais pas me convertir», aurait répondu Asia Bibi, avant d'ajouter : «Je crois en ma religion et en Jésus-Christ, qui est mort sur la croix pour les péchés de l'humanité. Qu'a fait votre prophète Mahomet pour sauver l'humanité ? Et pourquoi est-ce que ce devrait être à moi de me convertir et pas à vous ?» A ce moment-là, une femme lui aurait craché dessus et une autre l'aurait poussée. Quelques jours plus tard, Asia Bibi a été accusée de blasphème, avant d'être condamnée à la peine capitale.
Son cas avait eu un retentissement international, attirant l'attention des papes Benoît XVI et François. En 2015, l'une de ses filles avait rencontré ce dernier. Asia Bibi avait également reçu le soutien de la maire de Paris Anne Hidalgo, qui avait réclamé sa grâce et l'avait élevée en 2015 au rang de citoyenne d'honneur de sa ville.
Au Pakistan même, l'histoire de cette chrétienne d'origine modeste divise fortement l'opinion. Les défenseurs des droits de l'homme voient en Asia Bibi un emblème des dérives de la loi réprimant le blasphème au Pakistan, souvent instrumentalisée, selon ses détracteurs, pour régler des conflits personnels.
Lors de l'examen de son recours début octobre, les juges de la Cour suprême avaient semblé s'interroger sur le bien-fondé de l'accusation. «Je ne vois aucune remarque désobligeante envers le Coran dans le rapport d'enquête», avait observé le juge Saqib Nisar, tandis qu'un second juge, Asif Saeed Khan Khosa, relevait plusieurs points de non-respect des procédures. Des islamistes radicaux avaient menacé publiquement les trois magistrats s'ils prononçaient l'acquittement.
On ignore à l'heure actuelle ce qu'il adviendra d'Asia Bibi après son acquittement. Son mari, accueilli à Londres par l'ONG catholique Aide à l'Église en détresse (AED) et interrogé le 13 octobre par l'AFP, avait estimé qu'elle ne pourrait «pas rester au Pakistan avec la loi [sur sur le blasphème]». «Pour nous, la vie au Pakistan est très difficile, nous ne sortons pas de chez nous, nous sommes très prudents», avait de son côté souligné sa fille Esham. «Je serai très heureuse le jour où ma mère sera libérée, je la prendrai dans mes bras, je pleurerai de la retrouver», avait-elle ajouté.
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