Vingt-quatre candidats, dont le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta, se sont lancés dans la course à la présidentielle prévue le 29 juillet. Donné favori, l’actuel chef de l’Etat a assuré lors de l’officialisation de sa candidature le 28 mai dernier qu’il s’attacherait «à relever entièrement et définitivement le triple challenge de la restauration de la paix, de la reconquête de l’unité et de la réussite de la réconciliation nationale». Des promesses ambitieuses et bien difficiles à tenir en un mandat de cinq ans tant les difficultés demeurent grandes sur le terrain.
G5 Sahel, Minusma, Barkhane : malgré un important dispositif sécuritaire, le pays fait face à une recrudescence des actes terroristes
Au cours des six premiers mois de 2018, le Mali a connu une recrudescence des actes terroristes malgré le déploiement d’un dispositif militaire conséquent depuis l’intervention française en janvier 2013 contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et le mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Dans son dernier rapport trimestriel sur le Mali, le secrétaire général de l’ONU a fait part de sa préoccupation sur l’évolution de la situation sécuritaire notamment dans le centre du pays.
Depuis le début de 2018, le nombre d’attaques perpétrées au moyen d’engins explosifs improvisés a presque doublé par rapport à la même période en 2017
«Je suis préoccupé par la détérioration continue des conditions de sécurité au centre du Mali, caractérisée par une plus grande complexité des attaques contre la Minusma [Mission multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation du Mali], les forces armées maliennes et les forces internationales, un nombre exceptionnel de victimes civiles et une augmentation des conflits intercommunautaires», s’est-il alarmé.
Et de poursuivre plus loin : «Depuis le début de 2018, le nombre d’attaques perpétrées au moyen d’engins explosifs improvisés a presque doublé par rapport à la même période en 2017 : on en avait en effet dénombré 93 au 18 mai, contre 55 en 2017. Perpétrées de plus en plus près des zones plus peuplées du centre du Mali, elles font un nombre croissant de victimes parmi la population civile».
Un triste état des lieux qui interroge sur la viabilité de la stratégie militaire adoptée dans le pays par le Mali, la France et la force onusienne de la Minusma afin d'éradiquer la menace terroriste. L’attaque fomentée le 29 juin dernier par un commando composé de six djihadistes issus du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), proche d'Al-Qaïda, contre le très sensible quartier-général de la coalition antidjihadiste du G5 Sahel à Sévaré, dans le centre du Mali, témoigne de la capacité intacte des groupes terroristes à frapper leurs ennemis en plein cœur.
Près de soixante ans après les indépendances acquises de haute lutte, il est au minimum paradoxal que la voie de règlement des crises dans les anciennes colonies françaises d'Afrique passe encore par Paris
Interrogé par RT France, Louis Keumayou, journaliste et président du club de l'Information africaine, estime que la politique sécuritaire mise en place au Mali, avec notamment l’implication de la France, ne peut contribuer au rétablissement d’une paix durable dans le pays.
Selon lui, la réponse pour y parvenir doit être malienne et africaine : «La situation au Mali ne peut pas être résolue par la seule voie militaire. D'autant plus que les mouvements qui sont combattus mènent une guerre asymétrique. Quel que soit le nombre des forces amies qui essaieront de prêter main forte aux autorités maliennes, la solution ne peut être que malienne. De plus, on ne peut pas avoir signé des accords de sortie de crise à Alger et privilégier à ce point la relation avec la France, au détriment d'un rapport de bon voisinage avec l'Algérie. Les deux ne sont pas incompatibles. L'Afrique de façon générale, et les pays du Sahel plus particulièrement, doivent de plus en plus œuvrer à trouver des solutions africaines aux problèmes de l'Afrique.»
Et de s'indigner : «Près de soixante ans après les indépendances acquises de haute lutte, il est au minimum paradoxal que la voie de règlement des crises dans les anciennes colonies françaises d'Afrique passe encore par Paris. Les germes de l'échec se trouvent dans cette posture complètement anachronique et absurde.»
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Une réconciliation nationale qui peine à se concrétiser
Aux côtés de la situation sécuritaire, la réconciliation nationale demeure l’un des défis majeurs que le Mali doit relever. Au-delà des tensions communautaires, le Mali est confronté aux sempiternelles velléités indépendantistes des rebelles touaregs dont la majeure partie d'entre eux sont regroupés au sein de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), signataire avec l’Etat malien de l'accord d’Alger en 2015 censé mettre fin à une situation sécuritaire instable depuis plusieurs décennies dans le nord du pays.
Si les affrontements entre le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA), loyaliste aux autorités maliennes, et la CMA ont périclité à la faveur d'un cessez-le-feu signé en septembre 2017, la méfiance d'une partie de la population envers les rebelles touareg demeure grande.
On a fait trop d’accords avec les rebelles
Au micro de RT France, des Maliens établis en France ont fait part, pour la plupart, de leur scepticisme quant à la viabilité d'une réconciliation nationale sur la base de l'accord d'Alger, énième initiative pour consolider l'Etat malien. Ils déplorent en outre, la passivité du président malien pour unifier les différentes composantes politiques et ethniques du pays et rétablir la sécurité notamment dans le nord, épicentre des conflits entre groupes armés.
«On a fait trop d’accords avec les rebelles. […] Ce qu’il faut surtout faire, c’est [mettre en place] une armée véritablement républicaine […], former des hommes capables d’occuper le terrain et amener une certaine justice sociale dans la gestion du Mali. Faire en sorte que la corruption et que l’impunité s’arrêtent […]. La rébellion est le résultat d’une corruption endémique», estime notamment l'un d'entre eux.
Une économie sous perfusion
Déstabilisée par la mauvaise gouvernance et par les plans d’ajustements structurels imposés par le FMI à la fin des années 1980, l’économie du pays ne parvient pas à réduire drastiquement le taux de chômage et plus globalement la pauvreté, cela malgré un taux de croissance dépassant les 5% ces trois dernières années. Selon le rapport du Pnud sur l’Indice de développement humain (IDH) pour l’année 2016, le Mali pointait à la triste 175e place sur les 188 pays étudiés.
Si plusieurs bailleurs de fonds, à l'instar de la Banque mondiale, ont accordé de nombreuses lignes de crédit au pays afin de relancer son économie, leurs déblocages demeurent tributaires de la situation sécuritaire. Par ailleurs, ces financements, si les pays contributeurs respectent leurs engagements, ne seront pas investis immédiatement comme en témoignent, par exemple, ceux obtenus par l'Etat malien lors de la Conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali, organisée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le 22 octobre 2015. La réunion a certes débouché sur des annonces de contributions s'élevant à 3,2 milliards d’euros pour la période 2015-2017 mais celles-ci ne pourront être engagées concrètement sur le terrain qu'après l'application de l'accord d'Alger dont certains points importants, comme le DDR (démobilisation désarmement réinsertion), n’ont pas été complètement achevés.
En attendant, de nombreux jeunes Maliens insatisfaits de leurs conditions de vie, prennent le chemin de l'exil vers l'Europe où ils espèrent trouver un meilleur avenir. Malgré les campagnes de sensibilisation menées par les autorités sur la dangerosité de l'émigration clandestine, ils sont nombreux à traverser la Libye et la Méditerranée au péril de leur vie. En janvier dernier, près de cinquante migrants maliens ont péri en Méditerranée, selon le ministère malien de l'Extérieur et de l'Intégration africaine.
Face à ces importants défis sécuritaire, politique et économique, l'action du futur président malien sera suivie de près par la communauté internationale. L'implication de différents acteurs étrangers au Mali en est la preuve : la non-résolution de ces problématiques risquerait d'amplifier les effets déjà néfastes de l'instabilité du pays. Et ce bien au-delà de ses frontières.