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Face à une Union européenne affaiblie, le Royaume-Uni a-t-il tant besoin d'un «hard Brexit»?

Subissant une guérilla politique permanente, à la fois intérieure et extérieure, Theresa May a dû opter pour un Brexit moins «dur», provoquant l'ire des «hard brexiters». Mais l'UE, en pleine crise politique, est-elle vraiment à même d'en profiter ?

De guerre lasse, sans doute consciente du rapport de force réel, Theresa May a finalement consenti à un Brexit «mou», où les concessions en faveur de Bruxelles seraient plus substantielles. Le 6 juillet, la chef du gouvernement britannique arrachait à son gouvernement une position commune faisant la part belle aux règles de l'Union européenne (UE)... et une nouvelle zone de libre-échange avec le continent. En définitive, Londres paraît se résoudre à un succédané du marché commun européen, mais sans faire partie de l'UE. 

Autre demi-mesure, Londres confirme également son intention de quitter la juridiction de la Cour de justice de l'UE... mais souligne que les tribunaux britanniques pourraient tenir compte de la réglementation européenne pour les affaires tombant sous le coup de «règles communes». 

Après avoir cumulé les faux pas, Theresa May contrainte d'accepter les rapports de force

Ces compromis ont suscité l'ire des partisans d'une sortie plus inconditionnelle, d'un «hard brexit», réduisant au maximum les règles communes avec l'UE. Les démissions du ministre des Affaires étrangères Boris Johnson, figure de proue de la campagne pro-Brexit en 2016, le 9 juillet, au lendemain de celle d'un autre «hard brexiter», David Davis, secrétaire d'Etat chargé de négocier la sortie britannique de l'Union européenne (UE), sonnent comme l'acte de décès d'un Brexit dur, promis par Theresa May dès son accession au pouvoir en juillet 2016. «Le Brexit est le Brexit. Et nous le réussirons», avait elle alors lancé.

En 2016, le gouvernement britannique, partisan donc d'un Brexit inconditionnel, se préparait à une confrontation directe avec les dirigeants européens. Le Français et européiste convaincu Michel Barnier, négociateur pour l'UE, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ou encore la chancelière Angela Merkel, avaient tout de suite prévenu : le Royaume-Uni paierait cher le résultat du référendum. Et pourtant, deux ans après, en juillet 2018, à moins d'un an de la date fatidique du 30 mars 2019, voila que les deux camps adoucissent leurs positions. Mais pour des raisons très différentes.

Du côté du Royaume-Uni, le Premier ministre Theresa May a dû faire face, non seulement à la guerre de tranchées déclarée par les dirigeants européens mais aussi à une guérilla intérieure. Le résultat des élections législatives de 2017, convoquées pourtant pour renforcer sa position dans les négociations, a affaibli durablement la dirigeante britannique. 

Depuis, pour conserver sa majorité à la Chambre des communes, la dirigeante conservatrice a dû se résoudre à une alliance avec dix députés du Parti unioniste démocratique irlandais (DUP). Mais l'opposition la plus farouche vient de la City. Avec une part du PIB anglais dépassant 13%, surfant sur la mondialisation financière, le milieu de la finance a trouvé un écho favorable à la chambre des Lords : en avril 2018, les Lords adoptaient un amendement réservant au Parlement le pouvoir d'empêcher la sortie de l'Union européenne sans accord avec Bruxelles.

L'occasion de sauver la face pour Bruxelles ?

Pour autant, l'Union européenne se garde de crier victoire. Car au moment même où Theresa May paraît capituler, l'Union européenne se trouve engluée dans une crise profonde. L'affaiblissement de Theresa May pourrait même permettre aux deux camps de sortir de la confrontation et de sauver la face.

Entre 2016 et 2018, la vague souverainiste a durablement imprimé sa marque à l'Union. Conjurée en France et aux Pays bas, elle a toutefois amené au pouvoir le chancelier Sebastian Kurz en Autriche, allié au parti anti-immigration FPÖ, et en Italie, les dirigeants anti-immigration, anti-système et souverainistes Matteo Salvini (La Ligue) et Luigi di Maio (Mouvement 5 Etoiles). En Allemagne, la percée du parti souverainiste anti-immigration Alternative für Deutschland (AfD) aux élections législatives en septembre 2017 a privé la chancelière Angela Merkel de son leadership européen informel.

Face au risque de blocage sur le Brexit, préjudiciable aux 27 comme au Royaume-Uni, le chancelier autrichien Sebastian Kurz, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE depuis le 1er juillet, a évoqué le 5 juillet la possibilité de prolonger les négociations. «Notre but est d'arriver à un accord avec le Royaume-Uni, mais si tel n'était pas le cas, nous devrons éviter un Brexit dur», a-t-il jugé. Le 6 juillet, Jean-Claude Juncker, s'est fait moins péremptoire que d'habitude. «Nous voulons nous en tenir au calendrier établi. Nous allons procéder étape par étape», s'est-il contenté de commenter.

Le négociateur Michel Barnier a également mis de l'eau dans son vin, affirmant être «prêt à adapter son offre». Le remuant ministre allemand de l'Intérieur Horst Seehofer, qui a fait plier la chancelière sur la politique migratoire, s'en est vivement pris à l'UE, trop focalisée à son sens sur le règlement du Brexit. «Je me permets en tant que ministre de l'Intérieur d'un Etat membre d'attirer l'attention sur le fait que la sécurité des citoyens européens doit jouir d'un traitement prioritaire au sein de l'Union européenne, indépendamment du Brexit», a-t-il martelé dans une lettre rendue publique le 6 juillet.

Afin d'éviter une nouvelle confrontation, Angela Merkel, par la voix de son porte-parole Steffen Seibert, a fait profil bas, se bornant à confirmer que de telles discussions sur le volet sécuritaire étaient en cours. Une façon de rappeler que les priorités qui sont désormais celles d'un groupe d'Etats membres au cœur de l'Europe, ne sont pas de punir, coûte que coûte, le Royaume-Uni pour le Brexit.