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Arabie saoudite : une journaliste poursuivie pour «tenue indécente» malgré son voile

Le hashtag qui fait fureur en Arabie saoudite ? #FemmeNueConduisantARiyad (en arabe). ll a été lancé après que la tenue d'une journaliste, pourtant voilée, a fait scandale : les autorités ont lancé une enquête pour «tenue indécente».

Un hashtag connaît depuis peu un véritable engouement sur les réseaux sociaux saoudiens. En français il se traduit «femme nue conduisant à Riyad». La surprise est de taille lorsque l'internaute curieux découvre la photographie à laquelle se rapporte l'audacieux mot-dièse : la conductrice en question, une journaliste saoudienne, est habillée des pieds à la tête... et de surcroît voilée. Elle est vêtue d’une ample abaya blanche, mais son pantalon moulant et la base visible de son cou ont affolé les rigoristes. Les autorités saoudiennes ont lancé une enquête pour «tenue indécente». 

Le scandale a éclaté après que la pulpeuse journaliste saoudienne Shireen al-Rifaie, travaillant pour Al Aan TV, une chaîne de télévision diffusant par satellite basée à Dubaï, est apparue dans un reportage sur l'autorisation donnée aux femmes saoudiennes de conduire. Sa tenue ? Une large abaya, la robe traditionnelle saoudienne, de couleur blanche, ouverte, le tissu couvrant ses cheveux, à l’exception de la mèche dépassant à l’avant du crane. Son corps était amplement caché.

Mais le vent soufflant ce soir là écartait les pans du vêtement , découvrant par intermittence le pantalon moulant de la journaliste. Par ailleurs, le «décolleté» de l'abaya, ouvert sur 5 centimètres, dévoilait un minuscule triangle de peau à la base du cou.

Il n’en fallait pas plus pour que les esprits les plus radicaux enflamment les réseaux sociaux avec le fameux hashtag et des commentaires insultants envers la journaliste.

Cet internaute saoudien qualifie la jeune femme de journaliste d'«impudique» qui «dévoile son corps».

«Nous devons combattre d'une main de fer cette perversion rampante qui infiltre tout, y compris les médias, nous ne supportons plus cette immoralité et cette pourriture», rage un autre internaute.

A ces voix outrées s'opposent toutefois plusieurs autres, qui notent le caractère excessif du hashtag : «Shireen al-Rifaie n'est pas nue, sauf votre respect», remarque cette internaute. 

«Des atteintes à la réalité», plaisante cette autre utilisatrice.

Le ministère saoudien des médias a annoncé le 26 juin que l'Autorité générale pour les médias audiovisuels allait lancer une enquête visant la journaliste Shireen al-Rifaie, qui aurait «violé les règles et consignes en portant une tenue indécente». Celle-ci s’est exprimé sur le site saoudien Ajel, expliquant qu’elle portrait des «vêtements décents» et qu’elle rejetait l’accusation portée contre elle. Elle a quitté le pays dès le début de la polémique.

Ironie du sort, le reportage voulait rendre compte d'une réforme très attendue que Riyad présente comme un virage progressiste de sa politique intérieure : l'autorisation de conduire accordée aux femmes en Arabie saoudite. Annoncé en septembre 2017, ce changement historique inspiré par le prince héritier Mohammed ben Salmane, fait en effet partie d'un vaste plan de modernisation et de réformes du riche pays pétrolier. 

Mais nombre de femmes craignent de rester la cible des conservateurs dans un pays où les hommes gardent le statut de «tuteurs» et décident à leur place. En effet, les Saoudiennes doivent sortir voilées et restent soumises à de strictes restrictions : elles ne peuvent ni voyager, ni étudier, ni travailler sans l'autorisation de leur mari ou d'un homme de leur famille, ni manger seules dans un restaurant. La mésaventure de Shireen al-Rifaie ne vient que révéler le conservatisme toujours à l'oeuvre dans le royaume.

En outre, l'enthousiasme relatif suscité par les récentes annonces en faveur des femmes ne saurait faire oublier la répression contre les militantes féministes qui se sont longtemps opposées à l'interdiction de conduire. Selon les autorités, sur 17 personnes dernièrement arrêtées, neuf sont toujours en prison. Elles sont accusées d'avoir porté atteinte à la sécurité du royaume et d'avoir aidé les «ennemis» de l'Etat saoudien.

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