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Législatives en Italie : les élections qui effraient (encore) Bruxelles

Sur fond de crise migratoire, bancaire et économique, les Italiens, naguère parmi les plus euro-enthousiastes, se rendent au urnes pour élire députés et sénateurs. Mais les enjeux de ce scrutin dépassent largement les limites de la Péninsule.

Crise migratoire, économie atone, sentiment européen en berne, crise bancaire... L'Italie semble concentrer tous les problèmes rencontrés au sein de l'Union européenne. Dans ce contexte, l'issue des élections générales du 4 mars 2018, lors desquelles les Italiens vont élire députés et sénateurs, inquiète Bruxelles au plus haut point. En raison d'un système électoral complexe mêlant à la fois scrutin proportionnel et prime majoritaire, aucune coalition politique ne serait, selon les derniers sondages, en mesure de bénéficier d'une majorité de gouvernement à l'issue de ces élections qui doivent pourtant déterminer la composition du gouvernement et la nomination du président du Conseil des ministres.

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Une crise migratoire devenue incontournable dans le paysage politique italien

La principale inquiétude de l'Union européenne est l'émergence, aux dépens des partis traditionnels, de partis dont les programmes remettent notamment en cause la politique migratoire de Bruxelles, comme le Mouvement cinq étoiles (M5S), fondé par l'humoriste Beppe Grillo, ou la Ligue du Nord de Matteo Salvini, sur fond de crise migratoire persistante. Cette question est, comme en Allemagne, en Autriche ou encore au Pays-Bas, devenue centrale dans la campagne électorale italienne, poussant certains candidats à se livrer à une surenchère de promesses.

Matteo Salvini a ainsi promis aux électeurs d'expulser quelque 500 000 migrants d'Italie dans le cas où son parti parvenait au pouvoir. Mais c'était sans compter Silvio Berlusconi, de retour dans la vie politique italienne, qui a surenchéri en promettant la reconduction aux frontières de 600 000 immigrés illégaux.

La question migratoire a pris encore plus de poids après un meurtre sordide attribué à un Nigérian dans une ville d'Italie centrale, Macerata. Le 31 janvier, le corps d'une Italienne de 18 ans avait ainsi été retrouvé découpé en morceaux, suscitant un vif émoi dans le pays. Quelques jours plus tard, la situation manquait de tourner à l'émeute dans cette paisible ville de 43 000 habitants, pourtant relativement épargnée par la crise économique, après l'arrestation d'un migrant venant du Nigeria. Le 3 février, un homme avait ouvert le feu sur des passants, blessant au mois six migrants d'origine africaine.

Le 24 février dernier, dans une tension croissante, des militants d'extrême droite et des groupes antifascistes se sont affrontés lors de plusieurs manifestations dans le pays, notamment à Milan et à Rome. Le 3 mars, à la veille du scrutin, des heurts ont encore éclaté entre antifas et policiers en marge d'un rassemblement du parti néofasciste CasaPound.

Signe du désarroi d'un pays qui il y a quelques années était parmi les plus euro-enthousiastes, en juillet dernier, le quotidien de centre-gauche La Repubblica, d'ordinaire résolument pro-européentapait du poing sur la table. «Chère gauche italienne, cher gouvernement [...] c'est sur Macron que vous devez aujourd'hui vous concentrer, [afin de] de ne pas vous laisser réduire à une sorte de colonie telle que la Tunisie, l'Algérie ou, très précisément la Libye», avait fulminé dans les colonnes de son journal, le fondateur Eugenio Scalfaro.

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Le grand retour de Silvio Berlusconi, arbitre du scrutin

Dans cette atmosphère de défiance et de recomposition politique, le camp pro-européen et pro-immigration, représenté par le Parti démocrate (PD) du centre gauche de Matteo Renzi, peine à convaincre les électeurs. Signe de ses difficultés, le PD pourrait se voir contraint de s'allier à Forza Italia (FI), le parti de l'inoxydable Silvio Berlusconi, dont les positions sur l'Union européenne sont ambiguës. Malgré tout, selon les sondages, cette coalition sur laquelle reposent les espoirs de l'UE, voit chaque jour s'amenuiser ses chances de l'emporter.

D'autant que FI pourrait aussi bien, selon le résultat des urnes, préférer s'allier avec la Ligue (ex-Ligue du Nord) de Matteo Salvini, parti eurosceptique. Car, comme à de nombreuses occasions par le passé, Silvio Berlusconi se trouve en position de faiseur de roi.

A 81 ans, le milliardaire napolitain pourrait faire son grand retour sur le devant de la scène européenne et même savourer sa revanche : en 2011, en pleine crise de la dette souveraine, il avait dû démissionner sous la pression de Bruxelles doublée des déclarations humiliantes du tandem formé par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lors du G20 de Cannes. Un épisode qui a valu au Cavaliere une descente aux enfers sur fond de scandales sexuels et de corruption, et qui se termine par son bannissement du Sénat italien en novembre 2013. A terre, Silvio Berlusconi avait qualifié la séquence de «coup d'Etat».

Inquiète, l'Union européenne active «en coulisses»

Aussi, le retour de Silvio Berlusconi au premier plan paraît avoir, au-delà du chaos politique italien, une portée symbolique. Au moment de son départ en 2011, l'Italie, en pleine crise financière, échappait de peu au sort de la Grèce et du Portugal. Ce sauvetage s'est pourtant fait au prix d'une mise sous tutelle : la composition d'un gouvernement technique avait été confiée à Mario Monti, dont le profil était plus conforme aux attentes de Bruxelles : ex-commissaire européen, collaborateur de la banque Goldman Sachs et ex-président de la Commission trilatérale, think tank euro-atlantiste... C'est à cette période qu'a également commencé, en parallèle, la montée en puissance du Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, assumant des positions résolument anti-européennes et anti-immigration.

Nous devons nous préparer au pire scénario

Une poussée populiste qui n'est pas sans soulever des craintes. S'appuyant sur des «sources européenne», l'AFP rapporte ainsi que «certains œuvrent en coulisse» afin de favoriser une future alliance entre Silvio Berlusconi et Matteo Renzi, sur le modèle de la «grande coalition» allemande – la plus à même de mettre en place une politique conforme à la ligne politique de Bruxelles. Toujours selon l'agence de presse, les membres les plus influents de sa famille politique au Parlement européen, le Parti Populaire Européen (PPE), s'occuperaient de «traiter» le cas Silvio Berlusconi, dont la figure trop clivante pourrait compromettre les possibilités d'alliance avec le PD.

A cette activité de lobbying s'ajoutent les déclarations du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. «Nous devons nous préparer au pire scénario qui pourrait être de ne pas avoir de gouvernement opérationnel en Italie», a-t-il lancé, alarmiste, le 22 février 2018, soulignant que ce même 4 mars, en Allemagne, l'accord de coalition arraché de haute lutte par Angela Merkel serait soumis au vote des militants du SPD, le parti social-démocrate allemand. «Si l'on combine toutes ces incertitudes, le SPD, les élections italiennes, les gouvernements minoritaires ici et là, nous pourrions avoir une réaction forte des marchés financiers dans la seconde semaine de mars», a encore prophétisé Jean-Claude Juncker.

Avec un système bancaire sous perfusion, à la merci d'une envolée des taux d'intérêt de sa dette souveraine, l'Italie, troisième puissance économique de la zone euro, va-t-elle à l'instar de l'Allemagne plonger à son tour dans une crise politique ?

Alexandre Keller

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