La Russie serait-elle sur le point d'envahir le Royaume-Uni après avoir massé porte-avions, sous-marins et soldats au large des côtes britanniques ? C'est l'ambiance anxiogène qui paraît flotter sur Londres ces jours-ci, alors que les tabloïds britanniques mettent le paquet sur la supposée menace russe.
La Russie pourrait déclencher des hostilités plus tôt que nous le pensons
Contribuant à cette énième vague de psychose médiatique, le commandant général de l'armée britannique Nick Carter a tiré la sonnette d'alarme le 22 janvier, affirmant que le Royaume-Uni était en passe de se faire surclasser militairement par la Russie. «Notre capacité à parer ou à répondre aux menaces vont diminuer si nous nous laissons distancer par nos adversaires», a ainsi prévenu le haut-gradé dans un discours prononcé devant la Royal United Services Institute (RUSI), un think tank dont le vice-président est un certain David Petraeus, général américain et ancien directeur de la CIA de 2011 à 2012. «Le moment de s'occuper de ces menaces, c'est maintenant», a-t-il martelé, ajoutant, très précisément : «La Russie, je crois, pourrait déclencher des hostilités plus tôt que nous le pensons.»
Nick Carter mentionnait-il le territoire britannique stricto sensu ? Pas vraiment, puisqu'il a plutôt évoqué la portée des missiles de croisière russes... en Syrie, dans le cadre de la lutte contre Daesh. «Ces menaces auxquelles nous sommes confrontés ne sont pas à des milliers de kilomètres de chez nous mais aux portes de l'Europe», a-t-il prévenu. De fait, on notera que la Russie partage des frontières avec de nombreux pays européens. Par exemple la Finlande ou encore les Pays baltes, mais pas exactement le Royaume-Uni.
Les tabloïds, loyaux soldats de la guerre hybride... contre la Russie
Mais qu'importe pour Nick Carter, qui reprend dans ses grandes lignes, la nouvelle doctrine antirusse et antichinoise de Donald Trump, du Pentagone et de l'OTAN. Il y a, selon le militaire, des types de menaces plus pernicieuses, parmi lesquelles l'angoissante guerre hybride, qui mêle hautes technologies militaires et propagande médiatique. «Nous avons vu comment la cyberguerre peut être menée non seulement sur les théâtres de guerre mais aussi pour déstabiliser la vie des gens normaux», a-t-il noté, reprenant les accusations d'ingérence russe supposée dans les processus électoraux occidentaux, notamment lors de la campagne présidentielle américaine de 2016.
Ayez peur, ayez très peur
Pour ce qui concerne la guerre médiatique, le chef de l'armée britannique pourra apparemment compter sur la loyauté de certains médias anglais. Le Daily Mail a ainsi saisi l'aubaine et largement fait écho à l'analyse de Nick Carter. Le tabloïd consacre même une partie de la Une de son site à un dossier spécial – aux accents de guerre froide – titré : «La menace Poutine contre l'Occident».
Pour autant, le Guardian, quotidien de référence de centre-gauche, ne semble pas aussi sensible à l'argument d'une guerre imminente entre la Russie et le Royaume-Uni. Dans un éditorial publié le 22 janvier, le journaliste Simon Jenkins rappelle benoîtement que l'armée britannique fait face à une réduction de son budget. «Les Russes arrivent. Les terroristes sont à nos portes. Ayez peur, ayez très peur. Et donnez-nous de l'argent», écrit-il avec ironie, brocardant le discours de Nick Carter. «La campagne de peur s'appuyant sur la cyberguerre n'est pas une menace réelle [...] Chaque année, au moment du vote du budget, le lobby de la Défense crie opportunément au danger», ajoute-t-il.
Moment de lucidité ? Pendant ce temps, tandis que l'armée russe n'a manifestement pas envahi ses voisins européens, l'organisation militaire supranationale de l'Alliance du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) renforce encore et toujours plus sa présence en Europe de l'Est, parfois à quelques kilomètres seulement de la frontière russe.
1000 milliards de dollars de budget pour l'OTAN, selon la Russie
Réagissant au discours martial de Nick Carter, l'ambassade de Russie au Royaume-Uni a eu beau jeu de rappeler les moyens financiers dont dispose l'OTAN pour sa montée en puissance, estimant le budget de l'organisation militaire à environ 1000 milliards de dollars, soit 20 fois plus que celui de la Défense russe.
Outre l'envoi massif de matériel et de troupes en Europe, l'OTAN a exhorté en novembre dernier, par la voix de son secrétaire général Jens Stoltenberg, ses Etats membres à préparer les infrastructures civiles à la guerre. Concrètement, sur le terrain ce sont les troupes de l'OTAN qui sont aux frontières russes et non pas l'armée russe qui s'apprêterait à envahir le Royaume-Uni. En bon anglais, on appelle cet exercice de retour au réel un reality check.
Alexandre Keller