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Manifestations en Iran : des événements propices aux «fake news» et à l'emballement médiatique

De fausses photos et vidéos sont apparues sur les réseaux sociaux, exagérant l'ampleur des manifestations en Iran. De leur côté, plusieurs journalistes ou figures médiatiques ont fait preuve d'un certain emballement. Retour sur quelques cas concrets.

L'actualité de ces derniers jours en Iran a offert un terrain fécond aux «fake news», dans le contexte tendu des manifestations qui ont fait 21 morts depuis le 28 décembre. Aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, certains se sont saisis de cette occasion pour diffuser nombre de fausses informations, visant principalement à donner une vision erronée de la portée des manifestations. Parmi les plus partagées d'entre elles, certaines ont parfois même été relayées par des personnalités médiatiques, ou des journalistes réputés fiables.

Scènes de film, rumeurs de révolution, images de manifestation en Argentine...

Ainsi, le 31 décembre, le journaliste indépendant Emran Feroz a par exemple été à l'origine d'un tweet très partagé, repris notamment par des journalistes étrangers et iraniens, laconiquement légendé «Iran». Sur la photographie jointe, une manifestante donne un coup de pied à des policiers iraniens. Une image percutante d'une jeunesse en révolte – c'est du moins ce que laissent penser le commentaire, l'image et le moment de publication. 

Seul problème : le cliché provient en fait d'un film iranien, Colliers d'or, sorti en 2012, comme s'en sont rapidement aperçu certains internautes avertis. Emran Feroz s'est justifié en affirmant que son message n'avait qu'une portée symbolique et n'était pas destiné à être informatif, regrettant qu'il puisse être «trompeur».

Si le cas de la photographie partagée par Emran Feroz témoigne avant tout de l’ambiguïté des images décontextualisées et d'un manque de rigueur dans le traitement de l'information, d'autres exemples ne laissent pas de place au doute. C'est le cas du tweet de Jacob Wohl, militant pro-israélien et soutien affiché de Donald Trump. Celui-ci a ainsi affirmé que des manifestants avaient investi la résidence du guide suprême iranien Ali Khamenei. Il affirmait d'ailleurs que des dirigeants iraniens avaient fui le pays par avion.

Outre que ces informations ont été livrées sans aucune source et qu'elles n'ont été étayées par aucun rapport sur le terrain, les témoignages de nombreux journalistes viennent formellement contredire celles-ci. Cela n'a pas empêché le message de Jacob Wohl d'être largement partagé sur les réseaux sociaux, confirmant aux yeux de ceux qui semblaient le souhaiter qu'une véritable révolution politique était en marche en Iran.

Toujours dans la perspective de transformer les faits pour accentuer à tout prix le caractère révolutionnaire des événements en cours, un ancien soldat de Tsahal a partagé la vidéo d'une émeute, expliquant que des centaines de milliers d'Iraniens se soulevaient «contre le régime iranien».

Pourtant, comme l'ont noté France 24 et de nombreux internautes, la vidéo en question, là encore décontextualisée, permet clairement d'entendre des commentaires en espagnol. De quoi mettre la puce à l'oreille de nombreux observateurs qui n'ont pas tardé à identifier la véritable provenance de ce document. Il s'agissait en fait de manifestations qui s'étaient tenues en Argentine en décembre dernier.

De la «manifestation» au «changement de régime» : un emballement notable

Au-delà de son lot de fausses informations, la situation en Iran a également donné lieu à une surenchère médiatique de la part de certains médias nationaux ou internationaux, prompts à décrire un pays au bord de l'implosion. Alors que le chef des Gardiens de la révolution, le général Mohammad Ali Jafari, assurait le 3 janvier être en mesure d’annoncer «la fin de la sédition» et que la violence des manifestations semblaient s'atténuer, le journal allemand Bild avançait le même jour une toute autre lecture de la situation. Pour le quotidien le plus diffusé en Europe continentale, il s'agit de véritables «manifestations de colère contre le régime des Mollahs». Le journal se demande même s'il ne s'agirait pas là des prémices d'une «nouvelle Syrie», sous-entendant ainsi que la guerre et le chaos seraient aux portes de Téhéran.

Une analyse que partage le média américain Fox News, pour qui les manifestants sont «prêts à mourir» pour renverser le gouvernement. Si les manifestations ont certes fait plusieurs morts, la terminologie employée par la chaîne américaine ne manque pas de frapper par son caractère outrancier, faisant presque passer le décès des manifestants, dont rien ne permet de dire qu'ils étaient prêts à y laisser leur vie lorsqu'ils sont descendus dans la rue, pour des actes délibérés. 

Alors qu'une révolution est par essence imprévisible, les journalistes qualifiant d'avance les événements en Iran de révolutionnaires suscitent légitimement le doute quant à leur honnêteté. Si la démarche n'est pas toujours aussi grossière que dans les cas précédemment cités, elle n'en demeure pas moins douteuse, surtout lorsqu'elle s'abrite derrière l'intervention d'experts supposés neutres. Ainsi La Croix interroge-t-elle Clément Therme, chercheur à l’institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres, qui se livre à un exercice de divination hasardeux. Non seulement assure-t-il qu'une «révolution» serait en cours, mais il va jusqu'à deviner les intentions des manifestants qui «ne [voudraient] plus de religieux au pouvoir».

Ces lectures des événements manquent la plupart du temps de recul et de questionnement. La question économique, pourtant parmi celles à l'origine des revendications des manifestants, passe ainsi souvent au second plan. Si certains manifestants contestent le régime politique, d'autres dénoncent la promesse qu'ils estiment que le président Hassan Rohani n'a pas tenue. Celui-ci avait en effet affirmé lors de son accession à la présidence en 2013 qu'il parviendrait à améliorer la situation économique et sociale du pays. Pour analyser ces données, encore faut-il ne pas fermer les yeux sur les sanctions imposées par les Etats-Unis à l'Iran depuis la Révolution islamique de 1979.

Casse-tête supplémentaire pour les amateurs d'analyses monolithiques : certains Iraniens reprochent à Hassan Rohani sa politique d'ouverture et jugent que sa posture de modéré est contraire aux intérêts de leur pays. A cela s'ajoutent encore les rivalités politiques et ethniques propres à un pays sur lequel trop de spécialistes sont habitués à porter un regard réducteur et occidental. Fausses informations, glissements sémantiques douteux ou lectures biaisées... Tous ces éléments témoignent une fois de plus de l'incapacité radicale à comprendre une situation d'un point de vue journalistique si l'on aborde celle-ci avec des arrières-pensées ou des préjugés politiques.

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