Le silence et le déni d'Aung San Suu Kyi au sujet des exactions commises envers les Rohingyas, minorité subissant des persécutions de la part de l'armée birmane, ne pouvaient laisser insensible même ses plus anciens soutiens. Des institutions britanniques, pays où elle a étudié et vécu, lui retirent ou réexaminent le maintien de ses titres honorifiques. Icône déchue, la conseillère spéciale de l'Etat birman (de facto dirigeante du pays) fait l'objet de supplications et de critiques de la part de personnalités qui ont pu jadis la porter aux nues.
Des personnalités blâment la dirigeante birmane
La salve a démarré avec l'intervention de Desmond Tutu, archevêque sud-africain et lauréat du prix Nobel de la paix, qui lui a adressé une lettre ouverte le 7 septembre, pour dénoncer celle dont la photographie a trôné dans son bureau pendant des années. «Nous prions pour que vous soyez une fois de plus courageuse [...]. Nous prions pour que vous vous exprimiez au nom de la justice et des droits de l'homme. Nous prions pour que vous interveniez dans la crise qui s'aggrave», avait-il écrit.
Dans un style plus virulent, Bernard Kouchner s’est exprimé sur Europe 1 le 13 septembre : «C'est une tuerie. Ce n'est pas parce qu'on a le prix Nobel qu'on est pure. Elle persécute les musulmans sur son territoire», a martelé le cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde. «Ce n'est pas parce qu'elle a le prix Nobel qu'il faut la pardonner. On ne peut pas pardonner de tels actes. C'est une guerre de religions [...] Comme elle ne le dénonce pas, elle est complice.»
Le philosophe Bernard Henri Lévy, lui, se reproche la naïveté de son ancien engouement pour elle. Dans Le Point, fin septembre, il lui adresse une tribune implacable. «On pestera contre la naïveté qui nous a tous fait sanctifier cette fameuse "dame de Rangoon"», écrit-il dans cet article.
Il y remet en question la validité actuelle de son Prix Nobel de la paix obtenu en 1991. «Le prix Nobel qu'on lui aurait donné plutôt deux fois qu'une au temps où elle semblait la réincarnation en un seul corps de Mandela, de Gandhi et du dalaï-lama, mais qui, dès lors qu'elle nous assure, main sur le cœur, qu'elle n'a rien vu à Sittwe, qu'il ne s'est rien passé en Arakan et que toutes ces nouvelles qui nous alarment ne sont que la "pointe émergée d'un iceberg de désinformation", est devenu un prix alibi», écrit-il.
La jeune activiste Malala Yousafzai, à qui l’on a aussi décerné le prix Nobel de la paix en 2014, a exhorté la dirigeante birmane à sauver les Rohingyas. «Arrêtez la violence. Chaque fois que je regarde les infos sur le Myanmar, mon cœur se brise devant les images de musulmans rohingyas persécutés», a déclaré Malala, à l'adresse d'Aung San Suu Kyi. «Depuis quelques années, j’ai systématiquement dénoncé ces mauvais traitements qui constituent une honte. J’attends toujours de ma camarade prix Nobel de la paix, la même condamnation. Le monde attend. Les Rohingyas attendent», supplie la jeune femme.
Un ancien symbole planétaire de résistance démocratique
Pourtant, l’opposante Aung San Suu Kyi, symbole de la lutte pour faire triompher la démocratie en Birmanie, avait suscité depuis le début de son combat politique une ferveur médiatique dans le monde entier et le soutien de nombre d'intellectuels et de politiques.
La fille du général Aung San, héros national pour avoir négocié l'indépendance de son pays avec les Britanniques, n'a que deux ans lorsqu'il meurt assassiné en 1947. Elle étudie à Oxford et y rencontre son futur mari Michael Aris, avec qui elle a deux enfants. Revenue au chevet de sa mère malade en 1988, elle décide à la suite d'une vague de répressions militaires de s'engager pour le combat pour la démocratie dans son pays et fonde son parti politique. Sachant qu'elle ne pourrait pas revenir en Birmanie si elle retourne voir son mari atteint d'un cancer, elle fait le choix du combat politique, laissant également ses deux fils au Royaume-Uni. La junte birmane la place en résidence surveillée en 1989.
Ce modèle de figure sacrificielle devient le symbole de la résistance face à l'oppression militaire jusqu'à sa libération en 2010. Elle a la faveur d'alliés de poids, artistes ou politiques : Obama, Bono, qui enregistre en sa faveur la chanson «Walk on», l'acteur Jim Carrey, le groupe Coldplay... Soutenue par le président François Hollande, elle est faite citoyenne d’honneur de Paris par le maire de Paris Bertrand Delanoé, et reçoit la décoration de commandeur de l'ordre de la Légion d'honneur française en 2012.
La mise au ban d’une icône
Aung San Suu Kyi pâtit aujourd’hui de sa gestion calamiteuse et inflexible de la crise des Rohingyas. Une pétition ayant regroupé le soutien de 400 000 personnes a exigé le retrait de son Prix Nobel, ce qui est en réalité impossible. Mais ses autres récompenses ne sont pas inamovibles. Ainsi, une partie des honneurs reçus au Royaume-Uni, où elle a vécu de longues années, lui est retirée, à commencer par sa récompense «Freedom of the City of Oxford», de la ville où elle avait suivi ses études. Elle l’avait reçue en 1997 pour son combat pour la démocratie. Un tableau à son effigie exposé dans l’université d’Oxford a également été retiré des murs (bien que la prestigieuse institution n'ait pas établi de lien entre la question des Rohingyas et ce retrait).
De plus, Unison, le deuxième syndicat de Grande Bretagne, a annoncé qu’il suspendrait son statut de membre honoraire, et l’a exhortée à dénoncer le sort subi par les Rohingyas.
The London School of Economics a également décidé de lui retirer sa présidence d’honneur. L’université de Bristol, enfin, qui avait décerné des diplômes honorifiques à l’opposante birmane durant sa détention, a aussi déclaré qu’elle examinerait le maintien de ces honneurs.
Les Rohingyas constituent une minorité musulmane dont les membres sont traités comme des étrangers par la Birmanie, un pays bouddhiste à plus de 90%. Les Nations Unies considère que l'armée birmane et les milices bouddhistes se livrent à une épuration ethnique contre cette communauté dans l'Etat Rakhine.