Le président américain Donald Trump a autorisé le Pentagone à «équiper» les milices kurdes syriennes YPG «autant que nécessaire pour remporter une nette victoire sur le groupe Etat islamique» à Raqqa, la capitale de facto des djihadistes, a déclaré le 9 mai le porte-parole du Pentagone Jeff Davis.
La coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les YPG sont le fer de lance, est «la seule force capable de prendre Raqqa dans un avenir proche», a souligné Jeff Davis. Selon le porte-parole, les Etats-Unis sont «déterminés» à ce que ces futures livraisons d'armes n'ajoutent pas «de risques sécuritaires» pour la Turquie. Ces armements seront «calibrés» pour répondre à un seul objectif, la prise de Raqqa, a précisé le responsable de la Défense. «Il y aura des mesures supplémentaires pour garder la trace de ces armes et vérifier leur utilisation», a-t-il affirmé.
Les Etats-Unis n'envisagent par ailleurs pas une présence à long terme des milices kurdes à Raqqa après sa libération, a indiqué la porte-parole du Pentagone Dana White. «Nous soutenons totalement la remise de Raqqa à une gouvernance arabe locale», a-t-elle déclaré.
Selon un haut responsable de la défense qui a souhaité rester anonyme, les Etats-Unis pourront ainsi fournir aux Kurdes syriens «armes légères, munitions, mitrailleuses, véhicules blindés, ou équipement du génie», comme des bulldozers.
Les Kurdes syriens se sont félicités de la décision américaine, la qualifiant d’«historique». Selon le communiqué des rebelles, l’armement américain les aidera à jouer un plus grand rôle contre le terrorisme en Syrie.
Une décision «inacceptable» pour Ankara
Peu après l’annonce du Pentagone, le vice-Premier ministre turc Nurettin Canikli a déclaré que la Turquie espérait que les Etats-Unis mettraient fin à leur politique de soutien aux milices YPG.
«Nous ne pouvons pas accepter la présence d'organisations terroristes qui menaceraient le futur de la Turquie… Nous espérons que l’administration américaine mettra fin à ce mal et fera machine arrière. Une telle politique ne peut être positive», a mis en garde Nurettin Canikli dans une interview accordée à la chaîne de télévision A Haber.
A moins d'une semaine d'une visite du président turc Recep Tayyip Erdogan à Washington le 16 mai, la décision constitue un tournant majeur pour l'administration américaine. Celle-ci s'était jusqu'à présent toujours refusée à aller contre l'avis de la Turquie, pays membre de l'OTAN et allié stratégique des Etats-Unis. Ankara considère notamment les milices kurdes YPG comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui revendique l'autonomie des régions kurdes dans le sud du pays et contre qui la Turquie avait lancé une opération armée. Mais l'administration Trump a finalement décidé de valider le diagnostic posé depuis des mois par le Pentagone.
La Turquie a déjà frappé les milices YPG en Syrie. En avril, des frappes contre un QG des milices dans le nord-est de la Syrie ont fait 28 morts. Des accrochages entre miliciens kurdes et l'armée turque ont également eu lieu le long de la frontière.
Les Etats-Unis ont, de leur côté, envoyé des véhicules militaires munis de drapeaux américains du côté syrien de la frontière pour effectuer des patrouilles avec des membres des YPG et prévenir tout nouvel accrochage. En mars dernier, une équipe de RT a repéré des militaires américains aux côtés des Kurdes syriens à seulement quelques kilomètres de la ligne de front de Raqqa, près du barrage de Tabqa sur l’Euphrate. «Nous avons réussi à filmer des marines américains quittant la ligne de front avant de recevoir l'ordre d’arrêter de filmer», avait raconté la correspondante de RT Lizzie Phelan.
Cela contredit les propos du Pentagone qui insistait sur le fait que ses forces ne seraient pas déployées et que les militaires américains ne jouaient qu'un rôle de conseil.
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«Risque pour les Etats-Unis»
La décision d'armer les Kurdes malgré l'opposition d'Ankara «comporte certainement un risque» pour les Etats-Unis, pour qui la Turquie est un allié crucial, a estimé Michael O'Hanlon, un spécialiste des questions de défense au centre d'études Brookings à Washington. «Mais il y a un risque aussi à suivre l'approche turque, qui pourrait mener à une future prolongation de la guerre contre Daesh», a-t-il déclaré à l'AFP.
Mais Charles Lister, un expert du Middle East Institute, un centre de recherche basé à Washington, s'est montré beaucoup plus critique. «Je pense qu'il est très difficile d'imaginer que Trump a trouvé quoi que ce soit de suffisant pour apaiser les craintes de la Turquie de voir les milices YPG se renforcer le long de sa frontière», a-t-il déclaré à l'AFP.
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Le centre national anti-terroriste américain (NCTC) avait lui-même étiqueté «terroristes» les YPG avant de faire marche arrière en 2014, lorsque les forces américaines ont commencé à travailler avec elles en Syrie. La décision de la Maison Blanche «va inévitablement provoquer plus d'instabilité» en Syrie, a-t-il ajouté.