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Berlin accuse Erdogan d'avoir «franchi une limite» avec ses accusations de «pratiques nazies»

L'Allemagne a reproché au président turc d'avoir «franchi une limite» en accusant personnellement la chancelière allemande Angela Merkel de pratiques «nazies», alors que les relations entre les deux pays ne cessent de s'envenimer.

Les relations entre Ankara et l'Union européenne, et l'Allemagne en particulier, traversent une crise aiguë à l'approche du référendum du 16 avril sur la modification de la Constitution turque, modification qui entraînerait un renforcement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan.

Depuis un mois, les refus de l'Allemagne et des Pays-Bas de laisser des ministres turcs participer sur leur sol à des meetings en faveur du oui au référendum face à la diaspora turque ont suscité l'ire de l'homme fort d'Ankara. Il avait déjà affirmé que des pratiques dignes du nazisme étaient en vigueur en Europe. Le 19 mars, il est allé encore plus loin en s'en prenant nommément à la chancelière allemande.

«Quand on les traite de nazis, cela ne leur plaît pas. Ils manifestent leur solidarité. En particulier Merkel», a déclaré Recep Tayyip Erdogan dans un discours télévisé. 

«Mais tu as recours en ce moment précis à des pratiques nazies», a-t-il lancé à l'adresse de la dirigeante allemande.

«Nous sommes tolérants mais nous ne sommes pas des imbéciles», lui a répliqué le chef de la diplomatie allemande Sigmar Gabriel dans le quotidien allemand Passauer Neue Presse.

«J'ai donc fait savoir très clairement à mon homologue turc, Mevlut Cavusoglu, qu'une limite avait été ici franchie avec les propos choquants de Recep Tayyip Erdogan», a-t-il ajouté.

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Ambassadeur allemand convoqué

L'Allemagne est en plein bras de fer avec le président Erdogan et héberge la plus importante diaspora turque au monde. Jusqu'ici, les responsables allemands ont préféré la retenue face à ce qu'ils considèrent comme des «provocations» turques, persuadés que la surenchère ne ferait que faire le jeu du chef de l'Etat turc, soupçonné de vouloir se poser en victime pour mobiliser les indécis face au projet de réforme constitutionnel. Mais la patience de Berlin a ses limites.

«Est-ce que Monsieur Erdogan a encore tous ses esprits ?», s'est interrogé une proche d'Angela Merkel et vice-présidente de la CDU, Julia Klöckner. Elle a demandé l'arrêt des subventions européennes «qui se montent en milliards d'euros» en faveur de la Turquie, prévues pour l'aider à se rapprocher de l'UE.

Le président du SPD et challenger d'Angela Merkel aux législatives du 24 septembre, Martin Schulz a jugé les propos de Recep Tayyip Erdogan «indignes d'un chef d'Etat». «La Turquie est en train d'évoluer vers un Etat autoritaire», a estimé l'ancien président du Parlement européen sur la chaîne publique allemande ARD.

Dans un nouvel accès de fureur, la Turquie a annoncé avoir convoqué l'ambassadeur d'Allemagne pour protester contre la tenue la veille à Francfort d'une manifestation kurde lors de laquelle avaient été brandis des drapeaux du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et lancés des appels à voter non au référendum turc du 16 avril.

Fin des négociations avec l'UE

La Turquie a par ailleurs réagi avec véhémence aux propos du patron des services de renseignements extérieurs allemands. Ce dernier a estimé dans un entretien à l'hebdomadaire Der Spiegel qu'Ankara n'avait pas réussi à convaincre de la responsabilité du prédicateur Fethullah Gülen dans le putsch manqué de juillet 2016. Cette déclaration viserait à blanchir le groupe de Gülen en Europe, selon le porte-parole de la présidence turque.

Le prédicateur exilé aux Etats-Unis Fethullah Gülen, à la tête d'un vaste réseau d'écoles, d'entreprises et d'ONG, est accusé par les autorités turques d'avoir ourdi la tentative de putsch du 15 juillet 2016. Il dément catégoriquement toute implication.

Cet accès de tension écarte un peu plus encore la perspective d'une intégration de la Turquie à l'UE. Recep Tayyip Erdogan a jeté de l'huile sur le feu en déclarant s'attendre à ce que le Parlement vote, après le référendum du 16 avril, le retour de la peine capitale, abolie en 2004 dans le cadre de la candidature d'Ankara à l'entrée dans l'UE.

«Si la peine de mort est réintroduite en Turquie, cela entraînera la fin des négociations», a commenté le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Le ministre danois des Affaires étrangères, Anders Samuelsen, a quant à lui annoncé le 19 mars qu'il convoquait l'ambassadeur de Turquie à Copenhague pour évoquer les menaces «inacceptables» dont auraient été victimes des binationaux turco-danois critiques du président Erdogan.

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