Pour connaître la «vérité», il faut parfois lire entre les lignes. Mais, à mesure que le storytelling des médias s'amincit et que le réel s'impose, on en est maintenant au point où il suffit de lire les lignes, lesquelles ne masquent presque plus rien. La concomitance de la déroute en cours des «rebelles» et de l'exode des civils, lesquels se réfugient auprès de l'armée régulière syrienne, contredisent la version des grands médias occidentaux.
Ces derniers, prompts à alerter l'opinion sur la présence de civils dans les quartiers tenus par les combattants, s'inquiètent maintenant de civils qui fuient les combats à mesure que les «rebelles» cèdent du terrain. L'Express évoque ainsi le «martyre» d'Alep et titre Laissez sortir les civils : à Alep-Est, l'exode s'accélère. Mais qui retient les civils ? Et si l'exode s'accélère, ne sortent-ils donc pas déjà ? «Jamais, sans doute, le désespoir des civils n’avait été aussi grand dans les quartiers rebelles d’Alep», écrit Le Monde de son côté, dans un article intitulé, presque avec regret : Syrie : la rébellion s'effondre à Alep.
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L'équivalence, implicite mais bel et bien suggérée au lecteur est là : par simple juxtaposition des termes, l'«effondrement de la rébellion», c'est aussi le «désespoir» des civils. Pourtant, sur le terrain, rien n'est moins sûr que la solidarité entre ces combattants salafistes et la population jusque-là piégée dans les quartiers est d'Alep et estimée entre 200 000 et 300 000 personnes.
Une population martyrisée oui, mais par les salafistes
Autre exemple, toujours au diapason de l'AFP, fournisseur d'éléments de langage officiel prêt à l'emploi, le quotidien belge Le Soir, promet à ses lecteurs un «éclairage» sur la situation et titre ainsi : Alep : pourquoi cette chute «express» des quartiers rebelles ?, titre d'ailleurs changé depuis.
Une débandade que le Soir explique par «des bombardements d'une intensité rare par le régime, l'érosion des stocks d'armes et un faible nombre de combattants». Est-ce donc une mauvaise nouvelle ? Effectivement, les opérations militaires de l'armée régulière du «régime», avec l'appui aérien de la Russie, ont considérablement affaibli les positions de ces «rebelles», vocable médiatique qui mérite d'être, encore une fois, décortiqué.
A Alep, selon le grand reporter du Figaro Georges Malbrunot, qui s'est rendu sur le terrain en octobre 2016, les forces «rebelles» se décomposaient alors de la façon suivante : 2 000 djihadistes de l'ex-Front Al-Nosra, rebaptisé Fatah al-Cham mais aussi branche syrienne d'Al-Qaïda, dont les leaders dirigent les autres groupes terroristes qui n'ont d'autre choix que d'obéir : le groupe salafiste d'Ahrar Al-Cham, 3 000 combattants environ, soutenu par le Qatar et l'Arabie saoudite. Et enfin les rebelles «modérés» de l'Armée syrienne libre, laquelle s'est évaporée dans le reste du pays, mais reste encore numériquement importante à Alep. Les médias s'inquiètent donc de l'effondrement de ces combattants extrémistes, les préférant toujours au «régime» de Bachar el-Assad.
Les civils, victimes du «régime» en Syrie... mais otages en Irak ?
Quant aux civils en fuite, la première interrogation qui vient à l'esprit est : pourquoi fuient-ils maintenant et quel est l'événement déclencheur qui leur permet de fuir plutôt maintenant qu'auparavant ? Plus de 18 000 civils ont ainsi pu quitter les quartiers d'Alep encore contrôlées par les djihadistes. Au moment même où les rebelles perdent le contrôle et ne peuvent plus empêcher les civils d'emprunter les couloirs humanitaires d'évacuation mis en place par l'armée syrienne et la Russie. Le controversé Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), hostile au «régime», admet lui-même que quelque 50 000 habitants auraient ainsi fui la zone de combat en quelques jours. Les rebelles ne semblent plus en mesure de verrouiller les quartiers ni de contenir la population.
Cette lecture des événements, battue en brèche par les médias, qui préfèrent voir des civils en fuite devant les troupes de Bachar el-Assad, semble aujourd'hui confirmée. Ne serait-ce que par le fait que les civils en fuite se réfugient dans des camps mis en place par le «régime», comme à Djibrine en territoire contrôlé par l'armée régulière et non auprès des rebelles, il faudrait admettre que les «rebelles» auraient pris la population en otage. C'est d'ailleurs le cas à Mossoul, en Irak, où les Occidentaux, appuyés par leur presse, parlent, dans ce cas de population utilisée comme boucliers humains et de... terroristes. Cherchez l'erreur.
Alexandre Keller