Antoine Deltour, sorte d'Edward Snowden à la française, risque de cinq à dix ans de prison et une amende pouvant s'élever jusqu'à 1,25 million d'euros pour sa dénonciation de pratiques irrégulières et criminelles de la part d'entreprises au Luxembourg. Deux autres personnes doivent comparaître en même temps que lui.
Les trois individus sont à l'origine de la fuite et de la diffusion de documents fiscaux du cabinet d’audit luxembourgeois PricewaterhouseCoopers (PwC), dévoilant les pratiques d’évasion fiscale de multinationales. 28 000 pages de documents fiscaux ont été révélés en deux temps, en 2012 par Antoine Deltour, puis en 2014 par Raphaël Halet. De son côté, le journaliste Edouard Perrin, troisième accusé, avait révélé le scandale des «LuxLeaks» en mai 2012, dans l’émission Cash Investigation, sur la chaîne publique France 2.
Les trois hommes sont accusés de vol domestique, de divulgation de secrets d'affaires, de violation de secret professionnel et de blanchiment.
Ce dont la justice les accuse est grave, mais ce qu'ils ont dévoilé l'est peut-être beaucoup plus, faisant la lumière sur un système frauduleux mis en place par les cabinets d’audit pour des firmes multinationales comme Apple, Ikea, Pepsi, Verizon, Amazon, Heinz, FedEx et bien d’autres encore, pour leur éviter des milliards de dollars d'impôts, et ce avec l’aval de l’administration luxembourgeoise, contournant visiblement ses propres lois. Ces LuxLeaks datent de l'époque où le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker était aussi Premier ministre du Luxembourg. Ce dernier a été fustigé comme instigateur de la stratégie consistant à faire de son pays la plate-forme clandestine d’optimisation fiscale des grandes entreprises en Europe.
Au total, 548 accords confidentiels et plus de 340 multinationales issues de 82 pays ont été dévoilés par ces lanceurs d'alerte.
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Antoine Deltour avait eu accès à ces documents sur la base de données de son employeur (PwC) et les avait copiés avant son départ de l'entreprise en 2010. Il ne regrette pas son geste, malgré la lourde peine de prison dont il est menacé : «Je ne comprends pas comment je pourrais être victime d'une lourde peine lorsque j'ai agi dans l'intérêt général», a-t-il expliqué.
Un procès suivi à la loupe par les ONG
Le procès sera suivi de près par plusieurs ONG anti corruption, dont Anticor, Oxfam, Tax Justice Network, CCFD-Terre solidaire et Transparency International, qui se sont mobilisées jusqu’à organiser des voyages en bus pour que les militants viennent remplir le tribunal. Ces ONG réclament à l'unisson la protection contre les représailles et les procédures judiciaires dont devraient bénéficier tous les lanceurs d'alerte.
Selon Transparency International, Antoine Deltour devrait être protégé et félicité, plutôt que poursuivi en justice.
L'affaire tombe assez mal pour le Luxembourg, déjà assorti de la mauvaise image de paradis fiscal pour les entreprises, et survient au moment-même où les nerfs de l'opinion publique ont été mis à vifs avec le scandale des «Panama papers».
La majorité des pays européens n'ont pas de lois pour la protection des lanceurs d'alerte, et ceux qui en ont comme le Luxembourg, ont souvent conçu des lois inadéquates pour les protéger efficacement. Selon celle du Luxembourg, Deltour n'est pas considéré comme un lanceur d'alerte parce que la législation ne couvre que les affaires de corruption. De plus, cette loi ne prévient que la responsabilité, mais ne prévient pas un procès éventuel.
Abandonné par les autorités françaises
Malgré les interpellations des ONG, ni Manuel Valls, en visite au Luxembourg en avril dernier, ni François Hollande, qui y était venu un an plus tôt, n’ont dit un mot pour soutenir Antoine Deltour. Pourtant, Hollande avait déclaré lors de la fuite des Panama papers: «Les lanceurs d’alerte font un travail utile pour la communauté internationale, ils prennent des risques, ils doivent être protégés.» Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui avait démontré la nocivité du Mediator dans une tribune du quotidien Le Monde va encore plus loin: «Il faudrait pouvoir punir ceux qui les attaquent. Il risque jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et plus d'un million d'euros d'amende, pour avoir dénoncé les conventions scandaleuses passées par des grandes entreprises, notamment françaises, pour contourner les impôts des pays où elles exercent leurs activités.»
Les gens se mobilisent
Dans la foulée de ces évènements, les gens se sont mobilisés sur internet pour dénoncer ces accusations. La pétition «Soutenons Antoine Deltour!», hébergée sur Change.org, a déjà récolté près de 125 000 signatures et demande d'ailleurs à François Hollande d'intervenir en faveur du citoyen français. Plusieurs soutiennent aussi unanimement ces courageux lanceurs d'alerte via Twitter.