Une nouvelle enquête de la London Review of Books par le journaliste renommé Seymour M. Hersh dévoile la scission entre les généraux et les hommes politiques américains au sein de la Maison blanche en ce qui concerne l’approche aux extrémistes islamistes en Syrie et en Irak.
Il semble que le Comité des chefs d’Etats-majors du Pentagone (CCE) ne partage pas l’enthousiasme de Barack Obama quant au concept de départ obligatoire d’Assad, en choisissant d’aider Damas en matière de renseignement concernant les djihadistes. Cela est cependant fait de façon indirecte, a confié à Hersh un ancien conseiller au Comité, sous couvert d’anonymat.
En été 2013, un rapport classifié préparé par l’Agence du renseignement de la défense (DIA) et le CCE soulignait que la destitution du président Assad créerait le chaos dans le pays, le rendant facile à conquérir pour les terroristes.
A ce moment, la CIA livrait depuis un an de l’armement en Syrie via la Turquie depuis ses dépôts situés en Libye. Cette pratique a été mise en place peu de temps après l’assassinat du leader libyen Mouammar Kadhafi, écrit Hersh.
Les armes ont été distribuées à tout groupe luttant contre l’armée d’Assad, y compris au Front al-Nosra et à l’Etat islamique. Les rebelles dits «modérés» se sont «évaporés et l’Armée syrienne libre était un groupe minoritaire stationné dans une base aérienne en Turquie», a révélé la source au journaliste, en ajoutant que les estimations des militaires américains étaient réalistes : l’opposition modérée à Assad est un mythe est les Etats-Unis armaient en réalité les extrémistes.
L’ancien chef de la DIA Michael Flynn s’est rappelé que le rapport a été «fortement repoussé» par l’administration Obama, qui «ne voulait pas entendre la vérité». «Si l’opinion américaine voyait les données que nous produisons jour après jour, elle serait pour le moins extrêmement fâché», a dit Flynn.
«Le CCE a réalisé à son tour qu’Assad ne devait pas être remplacé par les fondamentalistes», a encore raconté un ancien conseiller du comité à Hersh.
Dans ces circonstances, les militaires américains ont compris que défier directement la politique d’Obama était voué à l’échec, le président du CCE Martin Dempsey aurait donc décidé de s’opposer aux extrémistes sans utiliser «les canaux politiques».
Afin de combattre l’ennemi commun qu’est le Front al-Nosra et l’Etat islamique, le renseignement américain a fourni des informations aux militaires de partis tiers, tels l’Allemagne, Israël et la Russie.
«Il était clair qu’Assad avait besoin du meilleur renseignement tactique et avis d'ordre opérationnel», a révélé le conseiller anonyme à Hersh, en notant qu’«Obama ne le savait pas, mais Obama n’est pas au courant de tout ce que fait le CCE, ce qui a été le cas pour tous les présidents».
Le conseiller a souligné qu’il n’y avait pas de contact direct entre les militaires américains et syriens.
«C’était une affaire de militaire à militaire, pas une sorte de complot sinistre des généraux pour contourner Obama et soutenir Assad», a remarqué la source. «Si Assad reste au pouvoir, c’est parce qu’il est assez intelligent pour utiliser le renseignement et le conseil opérationnel que nous avons fourni aux autres».
Les services de renseignement syriens sachant parfaitement ce qu’il se passe, l’ambassade américaine à Damas a dépensé des millions de dollars sur une période prolongée pour financer les dissidents cherchant à déstabiliser le pays. Ce travail de sape ont eu lieu alors que le président Bachar el-Assad essayait d’établir des relations amicales avec Washington.
Suite à l’attaque du 11 septembre, «Bachar nous a pendant des années été très utile alors que, à mon avis, nous manquions de bienveillance en retour, et n’avons pas su bien utiliser tout l’or qu’il nous a donné», selon un ancien consultant au renseignement américain qui a parlé à Hersh.
Vers 2002, Assad a livré de gros volumes d’information concernant les activités des Frères musulmans en Syrie et Allemagne. Cette même année, le renseignement syrien a déjoué une attaque d’Al-Qaïda sur les quartiers généraux de la flotte américaine à Bahreïn.
Hersh affirme qu’à cette époque la prison de Damas était utilisée pour torturer les personnes soupçonnées de terrorisme détenues par la CIA, comme cela a été le cas dans d’autres pays qui faisaient partie du programme secret de détention illégale.
Cependant, en dépit du généreux soutien d’Assad, l’attitude de la Maison blanche envers le leader syrien reste la même : largement négative.
Le journaliste américain suggère qu’en échange du marché du renseignement avec le comité militaire américain, Damas devait accepter quatre conditions : ne pas laisser le Hezbollah attaquer Israël, renouveler le dialogue avec Israël concernant le plateau du Golan, accepter «les conseillers militaires russes et autres» et promettre de tenir une élection ouverte à la fin de la guerre.
Une source à Moscou a rapporté à Hersh que les Israéliens auraient refusé de discuter le problème du plateau du Golan, en prétendant que «Assad est fini».
Seymour M. Hersh estime que le succès militaire américain dans la fourniture de renseignements de qualité à Damas et l’affaiblissement du potentiel des terroristes en livrant de l’armement obsolète en provenance de dépôts turcs à travers les itinéraires de la CIA, ont été compromis par les actions de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie. Ces pays ont armé les extrémistes islamistes avec des armements modernes, ce qui leur a donné l’avantage contre l’armée gouvernementale syrienne et a abouti à d’importants revers en 2013.
Alors que les Saoudiens seraient restés ouverts à des négociations, le gouvernement turc et le président Recep Tayyip Erdogan jouaient un autre jeu.
Après avoir soutenu le Front al-Nosra pendant des années, le gouvernement turc «fait maintenant la même chose avec l’Etat islamique» afin de perturber l’équilibre du Moyen-Orient, d’après un conseiller du CCE.
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Le gouvernement turc a refusé d’interrompre l’afflux de djihadistes étrangers passant à travers la Turquie parce que le président Erdogan «voit grand, jusqu’à la restauration de l’Empire ottoman, et il ne s’est pas rendu compte des limites de son succès dans cette entreprise».