L’administration de Barack Obama vante souvent les mérites de sa «coalition de 65 nations». Plus de six dizaines de pays affrontant un ignoble ennemi commun : Daesh. Séduisant projet en apparence. Sauf que la réalité semble plus complexe. Plusieurs experts, militaires et officiels américains soulignent le manque d’activité de leurs alliés saoudiens, jordaniens, bahreïniens et émiratis. Paresse ? Non, simplement des intérêts stratégiques divergents.
Le conflit au Yémen
Seule une dizaine de nations sur 65 contribueraient réellement à la lutte contre le groupe dirigé par Abu Bakr al-Baghdadi. C’est ce qui ressort des analyses d’un certain nombre d’observateurs. Et parmi elles, pas de monarchies du Golfe. Leur soutien, présenté comme crucial à plusieurs reprises par le Maison Blanche, se serait évaporé. Un officiel du Pentagone, impliqué dans la lutte contre Daesh, a rapporté au Washington Times que les Saoudiens n’avaient plus effectué de mission contre l’EI depuis près de trois mois. De leur côté, les Jordaniens laissent leurs chasseurs cloués au sol depuis le mois d’août. Les Émirats arabes unis, depuis mars. Seul Bahreïn resterait un minimum actif.
Un ex-membre de l’administration Obama analyse ce manque d’investissement par la lunette stratégique. Selon lui, les gouvernements arabes du Golfe ont fait un pari il y a plusieurs mois. Celui de concentrer leurs ressources dans la lutte contre les rebelles Houthis au Yémen. Chiites et proche de l’Iran, ces derniers sont vus comme une menace par les pouvoirs arabes sunnites. Riyad a donc pris la tête de sa propre coalition qui bombarde le pays depuis fin mars. En septembre, elle a même lancé une première offensive terrestre dans la province de Marib, au centre du territoire. Les hommes et le matériel venaient principalement d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Une guerre chronophage, coûteuse et prioritaire pour les monarchies du Golfe. Elles auraient donc décidé de laisser l’Oncle Sam et les Européens se charger de Daesh.
«Ils sont plongés dans le conflit au Yémen maintenant et leur regard est pointé exclusivement dans cette direction. Cela a fortement impacté nos efforts pour bombarder et déployer des forces au sol en Irak et peut-être même en Syrie» a confié, anonymement, l’ex officiel américain au Washington Times.
Selon lui, le calcul était simple de la part des saoudiens et de leurs alliés : «Ils souhaitaient que les américains dirigent la coalition contre Daesh pendant qu’ils s’occupaient du Yémen.»
Certains observateurs estiment par ailleurs que le gouvernement de Barack Obama n’a pas très bien rempli son rôle de leader par rapport à ses alliés, notamment turcs, allemands, britanniques, australiens et français pendant que les pays arabes perdaient leur enthousiasme à se battre contre l’Etat islamique.
Anthony Cordesman, membre du Centre des études stratégiques internationales de Washington estime que «c’est une coalition de 65 pays dans laquelle neuf font réellement quelque chose». Selon lui, l’administration Obama a failli à exposer clairement le but de sa campagne de bombardement contre les terroristes en Syrie et en Irak.
«Je ne trouve pas un seul document officiel qui explique de manière cohérente notre stratégie en matière de frappes aériennes et ce qu’il faut faire de plus. Il est donc difficile de s’énerver du manque de soutien de nos alliés, surtout quand les Européens sont concentrés sur ce qu’il se passe chez eux et que les Etats du Golfe regardent vers le Yémen. Au Moyen-Orient, ceux qui nous suivent ont différentes stratégies et ne poursuivent pas tous les mêmes buts. Particulièrement quand notre propre objectif n’est pas claire» ajoute-t-il.
Du côté de Washington, on nie le manque de soutien des pays arabes de la coalition. Et on se réjouit du fait qu’ils mettent toujours leurs bases à disposition et continuent leur soutien financier.
Une histoire de gros sous
En parlant d’argent, une note internet du Département d’état américain indique que les Emirats arabes unis ont contribué à hauteur de plus d’un milliard de dollars à l’aide humanitaire donnée à la Syrie et à l’Irak depuis 2011. Les Saoudiens auraient aligné plus de 35 millions de billets verts et mis à disposition des réfugiés se trouvant en Jordanie une douzaine de camps médicaux pré-fabriqués.
Le Qatar n’est pas en reste. Récemment, Doha a annoncé un don de 160 millions de dollars pour un programme éducatif destiné aux réfugiés syriens.
Du côté du renseignement, les monarchies du Golfe continueraient de partager leurs secrets avec la coalition. «Ils ont construits un établissement aux Emirats arabes unis, où nos gars travaillent à surveiller les réseaux sociaux utilisés par Daesh» a expliqué l’ex officiel américain, toujours au Washington Times.
Reste que les récentes vagues d’attentats qui ont touché plusieurs ennemis de l’Etat islamique ainsi que la campagne de bombardements russe ont remis un sujet sur la table. Celui de l’efficacité de la coalition dirigée par les Etats-Unis. Alors que les attaques du 13 novembre à Paris ont secoué l’Europe, plusieurs pays ont demandé un redoublement des coups portés à Daesh. Mais pour Anthony Cordesman, une stratégie claire reste toujours à définir. De plus, «la France était déjà le deuxième pays en nombre de frappes aériennes», avant les attentats qui ont frappé la capitale. Le sursaut pourrait donc être faible.
Vide politique
D’autres voient en l’inaction des pays arabes de la coalition un autre danger. Plus politique que militaire. Bruce Riedel, ex-membre de la CIA est de ceux-là : «L’absence d’une véritable force aérienne arabe crée un vide non pas militaire mais politique. Les Russes, Français et Américains sont, eux, capables de frapper durement par les airs.»
Selon lui, la coalition manque d’une «réponse musulmane» à l’Etat islamique. Il qualifie cette absence de «perte de ressource importante au niveau symbolique».
Pourtant, les Etats-Unis auraient tenté à plusieurs reprises d’influencer leurs alliés arabes pour qu’ils prennent une part plus active dans la lutte contre Daesh. Mais selon le secrétaire de la Défense, Ashton Carter, les nations arabes privilégieraient la construction d’une flotte aérienne puissante plutôt que la lutte au sol, comme le fait l’Iran.
«Si vous regardez les Iraniens, ils sont au sol, là où cela compte. Nous n’aimons pas cela mais c’est un fait. Les pays du Golfe, eux, sont là-haut, à 30 000 pieds» souligne-t-il.
Mais l’éditorialiste Abdulrahman al-Rashed, officiant pour le journal Asharq Alawsat a fait remarquer que plusieurs Etats du Golfe sont déjà en confrontation sur le sol syrien. Par faction interposée. En effet, ils apportent leur soutien, notamment financier, aux groupes combattant Bachar el-Assad depuis le début de la guerre civile.
J. Matthew McInnis, membre de l’American Enterprise Institute, voit dans l’attitude de l’Arabie saoudite et de ses alliés, la crainte de l’Iran : «Il n’est pas question pour les saoudiens de classer la menace iranienne en dessous de celle de l’Etat islamique. C’est un problème secondaire pour eux».