En recevant le chancelier allemand Olaf Scholz au Caire, le chef de l’Etat égyptien Abdel Fattah al-Sissi a tenu ce 18 octobre son discours le plus virulent depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas déclenchée après une attaque surprise du mouvement islamiste le 7 octobre.
Le conflit a fait des milliers de morts des deux côtés et un million de déplacés dans le petit territoire palestinien, pilonné par Israël depuis 12 jours. Une majorité d'entre eux s'est réfugiée dans le sud, près de l'Egypte.
La fin de la «cause palestinienne» ?
Pousser les Palestiniens à quitter leur terre est «une façon d'en finir avec la cause palestinienne aux dépens des pays voisins», a lancé le président égyptien. «L'idée de forcer les Gazaouis à se déplacer vers l'Egypte mènera à un déplacement similaire des Palestiniens de Cisjordanie», territoire occupé par Israël, «et cela rendra impossible l'établissement d'un Etat de Palestine », a-t-il poursuivi.
Avant de prévenir : «Si je demande au peuple égyptien de sortir dans les rues, ils seront des millions pour soutenir la position de l'Egypte», qui a décrété trois jours de deuil pour les victimes de la frappe qui a tué dans la nuit des centaines de personnes dans un hôpital de Gaza.
Peu après, des milliers d'Egyptiens sortaient dans différentes villes du plus peuplé des pays arabes en solidarité avec Gaza, selon des images diffusées par des médias locaux et sur les réseaux sociaux. En temps normal, manifester est illégal en Egypte.
L'Université d'Al-Azhar, la plus haute autorité sunnite, a d'ailleurs appelé l'ensemble des musulmans à «investir leur richesse dans le soutien à la Palestine et à son peuple opprimé», les enjoignant à «revoir leur dépendance à l'Occident arrogant».
«C'est à Israël de garantir la sécurité des civils»
Le président Sissi veut, lui, une «intervention internationale immédiate» pour arrêter une «escalade militaire dangereuse qui pourrait échapper à tout contrôle».
Alors que le monde réclame l'ouverture du terminal de Rafah entre l'Egypte et Gaza, Abdel Fattah al-Sissi a répété que son pays ne l'avait «pas fermé». L'aide est bloquée par «les bombardements israéliens», a-t-il déclaré. Son chef de la diplomatie, Sameh Choukri, a affirmé le 17 octobre à la chaîne américaine CNN que quatre frappes israéliennes en une semaine avaient blessé «quatre employés égyptiens qui participaient à des réparations».
Depuis plusieurs jours, des centaines de camions sont bloqués dans le désert égyptien du Sinaï alors que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme désormais qu'à «chaque seconde où nous attendons l'aide médicale, nous perdons des vies» parmi les 2,4 millions de Gazaouis.
L'Egypte est face à un dilemme : laisser sortir les Palestiniens avec le risque qu'Israël interdise tout retour ou fermer leur unique ouverture sur le monde non tenue par Israël et les laisser sous les frappes incessantes.
Le Caire accepte de «recevoir les Gazaouis les plus vulnérables, ceux qui ont besoin de soins», comme c'était le cas jusqu'avant la guerre, «mais on ne transférera pas la responsabilité d'Israël à l'Egypte». «En tant que force occupante, c'est à Israël de garantir la sécurité des civils» de Gaza, a expliqué Sameh Choukri le 17 octobre à la BBC.
«Si l'idée, c'est le déplacement forcé, il y a le Negev»
A la question de créer de nouveaux réfugiés palestiniens – 760 000 ont fui ou ont été expulsés lors de la création de l'Etat d'Israël en 1948 – s'ajoute pour l'Egypte la question sécuritaire.
«En déplaçant les Palestiniens dans le Sinaï, on déplace la résistance et le combat en Egypte», a souligné Abdel Fattah al-Sissi. Et si des attaques des groupes armés palestiniens sont lancées depuis l'Egypte, «Israël aura alors le droit de se défendre [...] et frappera le sol égyptien», a-t-il prévenu.
Alors, la paix signée entre Israël et l'Egypte en 1979 – faisant du Caire le premier pays arabe à reconnaître Israël et donc l'un des plus grands bénéficiaires de l'aide militaire américaine – «va fondre entre nos mains».
Récemment, un ex-responsable israélien avait appelé l'Egypte à «jouer le jeu» en montant des camps de tentes «temporaires» pour les Palestiniens dans «l'espace presque infini» du Sinaï.
«Si l'idée, c'est le déplacement forcé, il y a le Negev», un désert du sud d'Israël, a rétorqué le 18 octobre le président Sissi. Avant de conclure : «Et Israël pourra les renvoyer ensuite (à Gaza) s'il le veut.»