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Vétéran SS au Parlement canadien : le pays confronté à son «histoire très sombre»

Après l’invitation au Parlement d’un vétéran SS ukrainien, ovationné par Trudeau, les députés et la délégation de Zelensky, des voix appellent à faire la lumière sur le passé du Canada, qui a accueilli en grand nombre d'anciens nazis après 1945.

Cinq jours après l’hommage rendu à un vétéran SS à la Chambre des communes, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a fini par présenter le 27 septembre les «excuses sans réserve» du Parlement «au président Zelensky et à la délégation ukrainienne pour la position dans laquelle ils ont été placés». «Le président de la Chambre était seul responsable», a aussi déclaré le chef de l’exécutif canadien, devant la presse, avant d'entrer dans l'assemblée.

Le 22 septembre à l'occasion de la visite au Parlement du président ukrainien, Yaroslav Hunka, 98 ans, avait été présenté par le président de la Chambre comme «un Canadien ukrainien, vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui a combattu contre les Russes pour l'indépendance de l'Ukraine», avant d’être ovationné par toute l’assemblée.

Suite à cette scène, le Centre des amis de Simon Wiesenthal avait mis en lumière les années de services de Yaroslav Hunka sous la bannière du Troisième Reich, comme volontaire dans la Waffen SS. Un corps d’armée dont l'extrême cruauté, en particulier sur le front de l’Est, n’est plus à prouver.

Une atteinte à l’image des Canadiens, dénonce l’opposition

Or, tout le monde au Canada n'a pas apprécié l'affaire et les excuses collectives présentées à l’Ukraine par Trudeau. «Les Canadiens n’ont pas besoin de s’excuser, nous avions besoin d’excuses !» a tancé sur X (anciennement Twitter) la journaliste Alex Pierson. Même son de cloche sur les bancs de Parlement. «Les Canadiens n'ont pas créé cette situation et méritent également des excuses de la part du Premier ministre Trudeau», a lancé Dan Albas, député conservateur, toujours sur X, avant de conclure : «Les Canadiens méritent mieux

Dans cette affaire, l’opposition reproche notamment à l’équipe de Trudeau un certain amateurisme dans la préparation d’un événement qui devait être «une réussite». Justin Trudeau est ainsi responsable des manquements de «tous ceux qui auraient pu et dû demander une liste complète, vérifiée, de toutes les personnes qui se trouveraient dans une pièce et à proximité» de Volodymyr Zelensky, président d’un pays en guerre, pour reprendre les mots du chef de l’opposition parlementaire, Pierre Poilievre. «C'est plus que honteux et embarrassant et cela ne sera jamais oublié», avait fustigé la députée conservatrice Raquel Dancho devant ses pairs. «Les Canadiens méritent d’être représentés avec dignité dans cette chambre et sur la scène internationale et cela leur a été enlevé», avait-elle asséné.

Cet incident a choqué jusque dans les rangs des ministres de Justin Trudeau. «Je me sens particulièrement blessée», avait déclaré au président de la Chambre la leader du gouvernement à la Chambre des communes, Karina Gould – qui s’était fait prendre en photo avec l’ancien SS –, rappelant que la «majorité de sa famille» était passée par le camp d’Auschwitz-Birkenau. «En tant que descendant de survivants juifs de l’Holocauste, je demanderais à tous les parlementaires de cesser de politiser une question qui préoccupe beaucoup, moi y compris», avait-elle par la suite appelé sur les réseaux sociaux.

Reste que d'autres membres du gouvernement pourraient être éclaboussés, comme la ministre des Finances du Canada Chrystia Freeland, que l'on pouvait apercevoir en tailleur bleu derrière Volodymyr Zelensky, applaudissant elle aussi avec enthousiasme le vétéran SS. L'élue, d'origine ukrainienne, est la petite fille de Michael Chomiak, éditeur d'un journal antisémite en Pologne occupée pendant la guerre, ayant collaboré avec l'occupant nazi. Une accusation que Chrystia Freeland ne reconnaît pas, y voyant là «l'œuvre de la propagande russe».

Mariani tance l'histoire canadienne 

 

L’indignation a également traversé l’Atlantique, avec en France l’eurodéputé Rassemblement national Thierry Mariani qui est monté au créneau. «Les excuses de Justin Trudeau ne suffisent pas», a-t-il estimé sur X, avant de poursuivre : «Toutes les digues historiques sautent en ce moment pour concourir au récit de Zelensky et de l’Ukraine.» «Tout le monde sait au Canada pourquoi les combattants ukrainiens de la SS Galicie ont émigré dans le pays après la guerre…», conclut cet ancien ministre français.

Nazis au Canada : vers un examen de conscience ?

Au-delà du bras de fer politique concernant les excuses personnelles demandées à Justine Trudeau par ses détracteurs, cette ovation d’un ancien SS au cœur de leur Parlement pousse des Canadiens à réclamer plus de transparence sur leur histoire nationale. «Mon enfant de dix ans tout à l’heure : de toute façon, qu’est-ce que faisait au Canada un ancien combattant nazi ?», témoignait sur X le 26 septembre une journaliste canadienne, Caryn Liebermann. Le lendemain, sur Global News, cette dernière diffusait un reportage sur cette page de l’histoire canadienne.

«Qu’ils aient été des nazis, qu’ils aient été des terroristes, qu’ils aient été des criminels de guerre d’autres parties du monde, le Canada ne peut même pas être connu comme un havre de paix», s’y insurge Michael Mostyn, patron du B'nai Brith Canada, une organisation de défense des droits de la communauté juive. Celui-ci souligne que le rapport Deschênes est «toujours expurgé». «Les Canadiens méritent de connaître la vérité», insiste-t-il. Tout comme les Amis du Centre Simon Wiesenthal, B'nai Brith Canada a réitéré sa demande de rendre public l’intégralité de ce rapport commandé par le gouvernement canadien au milieu des années 80.

Cette commission royale s’était penchée sur plus de 800 personnes suspectées de crime de guerre «entre le 1er septembre 1939 et le 9 mai 1945» et qui pourraient vivre au Canada. Parmi tous ces cas figuraient d’anciens membres de la 14e division de grenadiers de la Waffen-SS (1re division de Galicie) dans laquelle a servi Yaroslav Hunka. «Les membres de la division Galicie ont fait l’objet d’un contrôle sécuritaire avant leur admission au Canada», souligne la commission, qui conclut «qu’aucune preuve n’est venue étayer les accusations de crimes de guerre» portées contre les membres de la division, selon des extraits cités par le journal québécois La Presse le 26 septembre.

Le pays «a une histoire très sombre avec les nazis au Canada», a déclaré le 27 septembre Marc Miller, ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté de Justin Trudeau, au National Post. «Il y a eu un moment dans notre histoire où il était plus facile d'entrer au Canada en tant que nazi qu'en tant que juif. Je pense que c'est une histoire que nous devons réconcilier», a ajouté le ministre.