«Nous savons que ce sera un combat difficile. Bien sûr, les Russes vont s’adapter comme ils l’ont fait depuis le début de la guerre», a admis la porte-parole du Pentagone Sabrina Singh, le 21 juin, lors d’une conférence de presse.
Alors que la contre-offensive ukrainienne s’avère bien moins spectaculaire et plus meurtrière pour les forces de Kiev qu’espéré par l'Occident, Sabrina Singh a constaté que l’armée russe, elle aussi, connaissait le Retex (retours d’expérience). L’une des raisons des avancées des forces russes ces derniers mois et du succès de leur défense face à la récente offensive ukrainienne réside dans l’adoption de nouvelles tactiques issues des enseignements tirés de plus d’un an de combats.
C’est ce qui ressort des analyses de nombreux organismes, à l’exemple du Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI), un think tank britannique spécialisé dans les questions de défense. Son rapport «Meatgrinder [Hachoir à viande] : les tactiques russes dans la deuxième année de son invasion de l’Ukraine», publié le 19 mai, invite officiers et médias occidentaux à se défaire des stéréotypes sur les forces russes «dysfonctionnelles». Il souligne que les forces russes ont largement appris de leurs erreurs ou de leurs manques dans plusieurs domaines clefs. Ainsi, leurs défenses antiaériennes sont-elles bien plus performantes, interdisant pratiquement le ciel aux avions ukrainiens, mais aussi à leurs missiles HARM, spécialisés dans la destruction de radars.
La défense antiaérienne russe plus performante
De même, le rapport souligne que les progrès continus en guerre électronique «coûtent à l’Ukraine 10 000 drones par mois». «Apparemment, l’EW [electronic warfare, guerre électronique] russe parvient également à intercepter et à décrypter en temps quasi réel les systèmes de communication tactiques cryptés Motorola 256 bits, qui sont largement utilisés par les forces armées ukrainiennes», indique également le think tank britannique.
Les postes de commandement ciblés par les missiles Himars en juillet dernier sont dorénavant bien mieux protégés. Les blindages et camouflages thermiques des chars T-72 et T-80 ont été améliorés et ils sont plus employés comme soutien d’infanterie que comme fer de lance d’offensives, réduisant ainsi leurs pertes.
De plus, l’utilisation de chars T-55 et T-62 a été raillée dans les médias occidentaux, vue comme la preuve que Moscou manquait de blindés et que ces modèles anciens seraient aisément surclassés par les tanks occidentaux. Le RUSI souligne que ces véhicules constituent pourtant une réelle menace sur le champ de bataille «parce qu’ils ne sont pas utilisés comme chars, mais dans un rôle d’appui-feu en tant que véhicules de combat d’infanterie dotés d’un blindage plus lourd et de canons plus gros.»
Le rapport souligne aussi que l’infanterie a été réorganisée en groupes de combat plus ou moins spécialisés : des sections de reconnaissance vont au contact, révèlent les positions ennemies et préparent le terrain. Les troupes d’assaut plus expérimentées interviennent dans un second temps.
Infanterie et blindés réorganisés
Si les pertes peuvent être significatives dans les sections de reconnaissance qui harcèlent en permanence les lignes ennemies, on est loin des «vagues humaines» que décrivaient certains militaires ukrainiens et occidentaux, souligne le RUSI.
Le Washington Post, dans un article publié le 17 juin et se fondant notamment sur des témoignages de soldats ukrainiens et étrangers, ne dit pas autre chose. Les prisonniers recrutés par la société militaire privée Wagner étaient présentés par des officiels américains comme de la chair à canon. «Les soldats combattant pour l’Ukraine à Bakhmout ont décrit un combat qui s’est terminé très différemment de la façon dont il a commencé. Les prisonniers n’étaient pas aussi nombreux. Au lieu de cela, ont-ils dit, les combattants professionnels de Wagner ont coordonné les tirs au sol et d’artillerie sur les positions ukrainiennes, puis les ont rapidement débordés en utilisant de petites équipes», souligne le quotidien américain.
Le génie russe a également retenu l’attention du think tank britannique. Les auteurs du rapport «Meatgrinder» soulignent que les ingénieurs russes ont en effet été capables de monter en quelques mois un réseau défensif en profondeur.
«De telles positions défensives posent des défis formidables»
Une expertise qui se retrouve même au niveau tactique, souligne pour sa part le Washington Post : «Les tranchées russes se sont souvent révélées mieux construites que leurs homologues ukrainiennes, ont déclaré des soldats ukrainiens. Un rapport de mission de mars indiquait que les bunkers ressemblaient à des "trous d’araignées de style vietnamien" et "si profonds qu’ils étaient indétectables par un drone"».
La «Ligne Sourovikine» – le système défensif russe – est organisée sur plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur. La première ligne «comprend des tranchées renforcées de béton, des bunkers de commandement, des enchevêtrements de barbelés, des points d’appui-feu, des fossés antichars et des champs de mines complexes.» Elle canalise les offensives ennemies vers des points précis où l’artillerie et l’aviation d’assaut peuvent concentrer leurs tirs.
En parallèle, les lignes logistiques, postes de commandement et autres positions arrière, sont également attaqués. Une action plus discrète mais décisive, revendiquée par le président russe Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse avec les correspondants de guerre, le 13 juin. Ce pilonnage semble avoir empêché jusqu’à présent les Ukrainiens de consolider et d’exploiter tout succès initial de leur offensive sur les positions avancées de la «Ligne Sourovikine», une ligne de surcroît renforcée, selon des observateurs, par un réseau logistique en profondeur qui permet de transférer des renforts en différents points du front à l’abri des tirs, et de mener avec eux des contre-offensives rapides sur les positions prises par l’ennemi.
«De telles positions défensives posent des défis formidables», a déclaré un responsable américain au Washington Post, «et il est trop tôt pour juger si l’Ukraine peut les surmonter». L’armée ukrainienne et ses conseillers de l’OTAN sont certainement en train d’effectuer leurs propres Retex pour tenter de trouver la faille dans les défenses russes.