«Putin must go», soit en français «Poutine doit partir» : voilà qui, dès le titre, annonce la couleur d'une tribune signée le 5 octobre par John Bolton, ancien haut responsable à la Maison Blanche, qui appelle avec véhémence à «un changement de régime en Russie».
Régulièrement entonnée dans les hautes sphères d'influence de la politique étrangère américaine en prévision d'un renversement de pouvoir, la formule est toute naturelle dans la bouche d'un haut fonctionnaire qui, pas plus tard qu'au mois de juillet dernier, revendiquait sa contribution active à la planification de coups d'Etat de part et d'autre du globe.
«Les obstacles qui bloquent le changement de régime russe sont importants, mais pas insurmontables»
Alors que le conflit militaire russo-ukrainien est engagé dans son huitième mois, John Bolton est formel : les perspectives de négociations sont à écarter, tout comme celles d'une potentielle future normalisation des relations avec «le régime de Poutine». Notons qu'un tel discours fait écho aux propos tenus par la présidente de la Commission européenne lors de son récent déplacement outre-Atlantique. Ursula von der Leyen y avait notamment pris position contre les appels au cessez-le-feu dans le cadre du conflit, justifiant sa position en faisant valoir des enjeux dépassant la seule cause ukrainienne.
Pour le haut responsable américain, il n'existe donc qu'une seule condition pour envisager la fin du calvaire que traversent les populations touchées par le conflit : le départ de Vladimir Poutine. Et pour ce faire, l'ancien conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, ne tarit pas de conseils. «Puisque nous sommes déjà accusés de subvertir le Kremlin, pourquoi ne pas lui donner le change ?», s'interroge ainsi benoitement celui pour qui «les obstacles et les incertitudes qui bloquent le changement de régime russe sont importants, mais pas insurmontables».
Ce sont les colonels et les généraux à une étoile, et leurs équivalents civils, qui sont les plus susceptibles de prendre les choses en main
«Les désaccords et les animosités existent déjà, comme dans tous les régimes autoritaires, [et sont] exploitables dès que les dissidents s'y mettent», écrit encore John Bolton qui partage avec enthousiasme son analyse selon laquelle, «comme dans de nombreux coups d'Etat dans les pays du tiers-monde, le leadership probable pour le changement de régime ne viendra pas des officiers supérieurs et des fonctionnaires». «Ce sont les colonels et les généraux à une étoile, et leurs équivalents civils, qui sont les plus susceptibles de prendre les choses en main», ajoute-t-il.
Bolton plaide en faveur d'une aide américaine discrète
«Les étrangers peuvent apporter leur aide de nombreuses manières», préconise pour le haut fonctionnaire américain, avant d'évoquer plusieurs champs d'action en la matière, dont l'apport d'un soutien financier qu'il pense pouvoir s'avérer «crucial», même à petite échelle. A ce sujet, John Bolton encourage l'administration américaine, dans la mesure du possible, à faire preuve de discrétion. «Il est peut-être impossible de garder nos actions secrètes, mais il n'est probablement pas nécessaire de les annoncer à grand renfort de publicité», résume-t-il ainsi.
Ce n'est pas le moment d'être timide
En conclusion, l'ancien haut responsable de la Maison Blanche réaffirme haut et fort son attachement à un interventionnisme américain assumé dans de telles situations. «L'objectif stratégique évident de Washington est de voir la Russie alignée sur l'Occident, candidate idéale à l'OTAN [...]. Si le changement de régime russe peut être décourageant, l'objectif américain d'une Europe pacifique et sûre, poursuivi épisodiquement depuis plus d'un siècle, reste au cœur de nos intérêts nationaux. Ce n'est pas le moment d'être timide».
Un attachement de longue date à l'interventionnisme américain
A l'image de la participation qu'il revendique lui-même dans la planification de certains coups d'Etat, le haut fonctionnaire est connu pour appartenir au courant néoconservateur, qui se veut soutenir une politique étrangère américaine belliciste et interventionniste.
Ainsi, selon des révélations de l'ancien directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), le brésilien José Bustani, John Bolton n'hésite parfois pas à user de tous les moyens de pression en sa possession, parmi les plus menaçants, afin d'asseoir l'interventionnisme américain face à la diversité des perspectives dans certains dossiers internationaux. «Vous avez 24 heures pour démissionner, nous savons où sont vos enfants, vous devez prendre la bonne décision», aurait-il ainsi menacé le haut diplomate brésilien quand celui-ci commençait à obtenir certaines avancées majeures sur les dossiers irakien et libyen au début des années 2000. A l'époque, José Bustani faisait l'objet d'une campagne de l'administration américaine visant à le faire quitter l'OIAC – et qui aboutira en effet à son départ – en raison de ses positions.
John Bolton était alors en charge des questions de désarmement pour le président George W Bush, qui allait déclencher en 2003 l'invasion de l'Irak de Saddam Hussein, sous le faux prétexte, comme on le sait désormais, que ce dernier aurait disposé d'armes de destruction massive.
«Si les Américains avaient adopté une position différente, nous aurions pu éviter la guerre en Irak et toutes ses conséquences qui sont toujours d'actualité 20 ans plus tard. C'est une grande frustration pour moi», confiait à ce sujet José Bustani au mois d'octobre 2020.