Un pavé dans la mare : interviewé sur Bloomberg TV le 3 octobre à propos de l'escalade des tensions internationales, Jeffrey Sachs, professeur à l'université de Columbia (New York) et économiste renommé, a estimé que les Etats-Unis pourraient être à l'origine du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, suscitant la stupeur des journalistes.
«Je parierais qu'il s'agit d'une action des Etats-Unis, peut-être des Etats-Unis et de la Pologne», a ainsi lancé l'économiste à propos des dégâts subis par les gazoducs, avant d'être interrompu par l'un des intervieweurs, lui demandant sur quelles preuves il s'appuyait pour étayer son affirmation.
«Tout d'abord, il existe des preuves radar que des hélicoptères militaires américains, normalement basés à Gdansk [Pologne], ont survolé la zone», a expliqué Jeffrey Sachs. Avant de citer la menace formulée par le président américain Joe Biden en début d'année «de mettre fin, d'une manière ou d'une autre, à Nord Stream» en cas d'intervention russe en Ukraine, puis les propos du secrétaire d'Etat Anthony Blinken tenus lors d'une conférence de presse le 30 septembre. Ce dernier, tout en qualifiant de «désinformation» les accusations formulées par la Russie quant à l'implication des Etats-Unis dans le sabotage des installations, avait alors estimé que l'arrêt des gazoducs représentait une «formidable opportunité» pour réduire la dépendance énergétique des Européens vis-à-vis de Moscou, mais aussi pour doper les exportations de GNL américain.
«C'est une étrange façon de parler si vous vous inquiétez du piratage d'infrastructures d'importance vitale», a relevé Jeffrey Sachs. «Je sais que cela va à l'encontre de notre récit, vous n'êtes pas autorisés à dire ces choses en Occident», a-t-il poursuivi. Et, selon lui, de nombreuses personnes à travers le monde «pensent que les Etats-Unis l'ont fait», y compris des journalistes qui lui auraient indiqué en privé souscrire à cette thèse. «Mais ça n'apparaît pas dans nos médias», a-t-il constaté.
Visiblement mal à l'aise, l'une des journalistes a ensuite changé de sujet, au motif que Bloomberg ne pouvait pas apporter de «contrepoids» en direct à ces affirmations. Interrogé plus globalement sur la situation internationale, Jeffrey Sachs a exprimé ses vives préoccupations par rapport à l'escalade des tensions entre grandes puissances. Evoquant l'animosité croissante entre Washington et Pékin, il a d'ailleurs estimé que de très nombreuses provocations provenaient du côté américain, avant de s'alarmer des différentes déclarations autour de l'emploi d'armes nucléaires, faisant de la situation actuelle la plus dangereuse depuis la crise des missiles à Cuba en 1962.
Pour l'heure, l'identité des responsables des sabotages des deux gazoducs n'a pas été établie. L'Allemagne, le Danemark et la Suède ont de leur côté récemment annoncé le lancement d'une enquête conjointe, sans désigner de pays coupable à ce stade. Moscou appelle également à faire la lumière sur l'identité des auteurs de l'incident, avant de se prononcer sur la possibilité de réparer les infrastructures.
Evoquant la théorie, en vogue dans certains médias mainstream occidentaux, selon laquelle les Russes auraient saboté leurs propres infrastructures, Moscou a balayé un narratif «absurde» et rappelé les importantes pertes économiques que lui a fait subir l'incident.
Le 3 octobre, le porte-parole du Kremlin Dimitri Peskov a ainsi souligné que les pays qui n'avaient aucun intérêt dans ce sabotage étaient d'une part les pays européens, «privés [...] d'une voie d’approvisionnement en gaz», et d'autre part les pays vendeurs, dont la Russie. Il a également mis en avant le fait que les Etats-Unis ont la possibilité, en l'absence de fonctionnement des gazoducs, «de vendre une grande quantité de leur GNL à un prix plus élevé». Le 30 septembre, le président russe Vladimir Poutine avait imputé le sabotage des infrastructures aux «Anglo-saxons».