Au moins 35 personnes ont été tuées le 30 septembre à Kaboul dans un attentat-suicide contre un centre de formation pour étudiants de la capitale afghane situé dans un quartier peuplé par la communauté chiite minoritaire hazara.
«Les étudiants se préparaient à un examen lorsqu'un kamikaze s'est fait exploser dans ce centre éducatif. Malheureusement, 19 personnes sont décédées et 27 autres ont été blessées», avait au préalable déclaré Khalid Zadran, porte-parole de la police, avant que le bilan ne s'alourdisse.
«Nous étions environ 600 [étudiants] dans la classe, mais la plupart des victimes sont des filles», a relaté auprès de l'AFP un étudiant témoin de l'explosion qui se trouvait dans un hôtel pour être soigné. Cet attentat, qui vise une nouvelle fois le monde de l'éducation, s'est produit dans le quartier de Dasht-e-Barchi, dans l'ouest de Kaboul, une zone à prédominance musulmane chiite où vit la communauté minoritaire hazara, théâtre de certaines des attaques les plus meurtrières commises en Afghanistan.
Daesh au Khorasan (Daesh-K), un autre groupe sunnite avec lequel les Taliban entretiennent néanmoins une profonde hostilité et des divergences idéologiques, s'oppose également à l'éducation des femmes et des filles. Daesh, principale menace du pouvoir afghan, est responsable de plusieurs attentats ces derniers mois. Celui du 30 septembre n'a toutefois pas encore été revendiqué.
«Attaquer des cibles civiles prouve la cruauté inhumaine de l'ennemi et son absence de normes morales», a pour sa part déclaré le porte-parole du ministère afghan de l'Intérieur, Abdul Nafy Takor.
Les Hazaras, cibles de Daesh au Khorasan
Originaires des hauts plateaux isolés et pauvres du centre de l'Afghanistan historiquement connus sous le nom de Hazarajat, les Hazaras, avec leurs traits mongols distinctifs et leur adoption du chiisme, ont longtemps été persécutés par les dirigeants afghans, majoritairement sunnites et pachtounes. Ils représentent environ 15% de la population afghane.
Le 20 avril, au moins six personnes avaient ainsi été tuées et 24 blessées dans deux explosions ayant frappé une école pour garçons hazaras dans un quartier chiite de l'ouest de la capitale.
Dasht-e-Barchi, zone chiite de Kaboul, a d'ailleurs été lourdement frappé ces dernières années et encore plus depuis le retour au pouvoir des Taliban en 2021. Des attaques perpétrées par Daesh au Khorasan, l'organisation terroriste considérant les chiites comme des hérétiques qu'il faut éliminer.
En pleine expansion en Syrie et en Irak, les terroristes de Daesh se sont implantés en Afghanistan à partir de janvier 2015 sur des terres talibanes. Ils se sont installés dans les régions de Kounar et de Nangarhar à la frontière pakistanaise où ils seraient encore entre 1500 et 2200 combattants. En mai 2021, une série d'explosions s'était également produite devant un établissement scolaire pour filles hazaras dans le même quartier, faisant 85 morts, en majorité des lycéennes, et plus de 300 blessés.
Daesh-K, qui avait déjà revendiqué un attentat en octobre 2020 contre un centre éducatif (24 morts) dans la même zone, est donc fortement soupçonné d'avoir mené l'attentat du 30 septembre.
Des attaques de moindre ampleur, revendiquées par l'organisation terroriste, ont eu lieu à Dasht-e-Barchi en novembre et décembre 2021.
Une minorité ayant de nombreux antécédents avec les Taliban
Le retour au pouvoir des Taliban en août 2021 a mis fin à deux décennies de guerre en Afghanistan et a entraîné une réduction significative de la violence dans le pays. Mais, pour la communauté hazara, ce revirement coïncide avec le retour de la peur et des attentats.
Par le passé, les Taliban s'en sont régulièrement pris à cette minorité chiite. Lors de leur première marche vers le pouvoir à partir de 1994, les Taliban s’étaient trouvés en conflit avec elle dans de nombreuses régions, notamment à Mazar-i-Sharif et Bamyan. En 1995, Ali Mazari, le leader le plus important des chiites hazaras, avait été tué, et la mise en place du premier gouvernement taliban en 1997 avait lancé le signal de départ d’une violente répression, poussant de nombreux Hazaras sur les chemins de l’exil.
Les djihadistes avaient en effet assiégé le Hazarajat en 1998. C’est au cours de cette période, en 2001, que les statues monumentales de Bouddha dans la région hazara de Bamiyan avaient été détruites par les Taliban. De 2001 et 2021, le gouvernement central de Kaboul, appuyé par les Occidentaux, se voulait plus inclusif et plus respectueux des minorités religieuses du pays. La communauté hazara avait de fait été relativement épargnée par les attentats.
Même si les Taliban n'ont pas explicitement pris des mesures hostiles aux Hazaras et se veulent désormais plus «inclusifs» comparé aux années 1990, plusieurs actes témoignent toujours d'une volonté de marginaliser cette communauté. Dès leur prise de pouvoir, les nouveaux maîtres de Kaboul ont en effet décapité la statue d’Abdul Ali Mazari, leader de la résistance anti-Taliban en 1995, dans la région de Bamiyan.
Amnesty International s'est par ailleurs alarmée des tortures et des exactions commises par les Taliban contre la minorité chiite. L'organisation internationale se base notamment sur l'exécution de quatre hommes lors d'un raid nocturne en juin.
L’Emirat taliban autoproclamé ne semble ainsi pas tenir ses promesses en termes de respect du droit des minorités. Parmi les nominations de responsables aux divers postes ministériels, on compte majoritairement des chefs Taliban de longue date, essentiellement pachtounes, une ethnie qui représente les deux cinquièmes des Afghans. En revanche, un seul Hazara a obtenu un poste de ministre adjoint de la Santé. De ce fait, les Hazaras regardent de plus en plus vers l'Iran, considéré comme le parrain naturel de leur communauté.
L'Iran, défenseur des Hazaras ?
L’Iran est en effet un acteur incontournable dans le rapport de forces entre la communauté hazara et le pouvoir taliban. Une partie des Hazaras vivent à proximité de l’Iran, dont la frontière avec l’Afghanistan s’étend sur 920 km, et l’Etat iranien abrite environ 3 millions de réfugiés afghans, dont la grande majorité appartient à ce groupe ethnique.
Les Taliban étaient farouchement anti-iraniens lors de leur première expérience du pouvoir. Ils ont d'ailleurs été accusés d'avoir conduit en 1998 un raid contre l’ambassade iranienne à Mazar-i-Sharif et du meurtre de plusieurs diplomates iraniens. Téhéran avait alors apporté son soutien à l’Alliance du Nord, la résistance aux Taliban. Les relations bilatérales se sont encore plus envenimées par la politique d'exclusion conduite contre les Hazaras et bien plus encore en raison du trafic de drogue à la frontière et par les difficultés posées à la construction du chemin de fer devant relier la ville iranienne de Machhad à celle de Herat en Afghanistan.
C’est dans ce contexte de montée des tensions que l’Iran a conçu un véritable «plan de guerre» contre les Taliban et lancé des expéditions intensives depuis la frontière afghane au début des années 2000. Pour autant, quand, en 2001, les Taliban sont chassés du pouvoir par la coalition internationale conduite par les Etats-Unis après les attentats du 11-Septembre, les relations de Téhéran avec les gouvernements Karzaï (2001-2014) et Ghani (2014-2021) restent distantes. Dans une logique anti-américaine, l’Iran change de position à l'égard de ses anciens ennemis et autorise même les Taliban à ouvrir des bureaux dans la ville iranienne de Machhad.
En août 2021, les Iraniens ont salué le retrait des Etats-Unis d’Afghanistan. Et le président du Parlement iranien Mohammad Qalibaf a demandé aux députés de ne pas faire de déclarations hostiles aux Taliban. Les autorités iraniennes se sont contentées d’exprimer leur inquiétude vis-à-vis du sort réservé aux Hazaras afghans. Ils ont ainsi demandé aux nouvelles autorités de Kaboul de veiller à la sécurité de ces populations et de former un gouvernement inclusif et respectueux des minorités religieuses.
La brigade Fatimiyoun est une autre problématique entre les deux voisins. Cette milice de plus de 30 000 chiites hazaras a été envoyée en Syrie par les Iraniens pour combattre aux côtés des forces de Bachar el-Assad. Quand les Taliban ont repris le pouvoir, cette force, affidée à Téhéran, a déclaré reconnaître uniquement l'autorité de l'ayatollah Khamenei et s’est dit prête à intervenir en Afghanistan en cas de menace contre leur communauté.