«Le SCAF est un projet prioritaire, il est attendu autant par Berlin que par Paris et ce projet se fera. Je ne peux pas être plus direct.» : malgré les déboires, le programme de Système de combat aérien du futur (SCAF) doit être mené à son terme. Telle est la ligne de Paris, rappelée le 22 septembre par Sébastien Lecornu, ministre des Armées à l’occasion d’une conférence de presse à Berlin aux côtés de son homologue allemande Christine Lambrecht.
«Nous avons un conseil des ministres franco-allemand à la fin du mois d’octobre, cela nous laisse donc quelques semaines de préparation pour acter des calendriers exigeants», a ajouté le locataire de l’hôtel de Brienne.
Depuis son lancement à l’été 2017, le projet patine. Si politiquement les Etats partenaires sont tombés d’accord en signant fin août 2021 un accord intergouvernemental prévoyant d’allouer 3,6 milliards d’euros au développement d’un démonstrateur (phases 1B et 2), il n’en est rien du côté des industriels.
Déjà lors de la phase 1A, dédiée à l’étude des besoins militaires de chacun, une défiance entre les acteurs du projet avait émergé, tout particulièrement concernant les prérogatives de chacun et la propriété intellectuelle.
La tension est particulièrement vive entre Dassault aviation, pourtant désigné maitre d’œuvre du SCAF, et Airbus Defense & Space. Représentant à la fois les intérêts industriels allemands et espagnols, la filiale munichoise d’Airbus a profité du ralliement tardif de Madrid au SCAF afin de diluer le poids des Français. Du côté de l’avionneur tricolore, l’exaspération est palpable. Depuis mars 2021, son patron, Eric Trappier, évoque même l’éventualité d’un «plan B» sans en dire plus.
«Il y a toujours un plan B dans une industrie responsable», s'est-il contenté de répondre sur BFMTV. «Mon plan B ne consiste pas forcément à faire tout seul, mais à trouver une méthode de gouvernance qui permette d'emmener des Européens, mais pas selon les règles fixées aujourd'hui, car cela ne fonctionnera pas», avait-il précisé l'année dernière devant le Sénat.
Un projet franco-allemand qui ne décolle pas
Tant et si bien qu’en un an le projet n’aurait pas avancé. Désormais, le SCAF serait même devancé par un projet concurrent : le Tempest. Un programme porté par la Grande-Bretagne avec laquelle la France collaborait initialement, jusqu’au Brexit et la réorientation vers l’Allemagne actée après l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron.
Malgré ces difficultés, «nous avons besoin de réfléchir à ce que sera l'aviation de chasse du futur, puisque nous en avons besoin, et nous devons déjà penser à la régénération de nos équipements en la matière», a insisté le ministre français.
Les enjeux côté français sont de taille. Au-delà d’être le fruit d’une industrie européenne espérée par Paris, l’appareil doit également remplacer à «l’horizon 2040» le Rafale ainsi que monter à bord du futur porte-avion nucléaire français. Ce successeur du Charles-de-Gaulle, le PANG (pour «porte-avions nouvelle génération»), a été conçu pour accueillir le SCAF.
Or, l’impatience des partenaires de la France se fait ressentir. Outre Berlin qui a passé commande en mars dernier de 35 avions de combat F-35 afin d’assurer ses missions au sein de l’OTAN (parapluie nucléaire), les Espagnols ont également fait savoir leur intérêt pour l’appareil américain. «Je veux des matériels qui volent, qui roulent et qui sont disponibles sur le marché. Pas de développement de solutions européennes qui, au final, ne marchent pas» lâchait mi-septembre le général Zorn, chef d’État-major de la Bundeswehr (l'armée allemande) lors d’une conférence en présence de Christine Lambrecht.
En cas de crash du SCAF, le désaveu pour Paris serait d’autant plus dur, qu’il ne serait pas le premier projet européen – développé autour du couple franco-allemand – à tomber à l’eau. Il irait rejoindre le missile antichar du futur (MAST-F), les patrouilleurs maritimes (MAWS) ou même, en partie, l’emblématique hélicoptère Tigre où Français et Espagnols ont récemment été lâchés par Berlin.