Alors que l'attention médiatique a été consacrée ces dernières semaines à la mort de la reine Elizabeth II, des affrontements entre les communautés hindoue et musulmane ont éclaté dans la ville de Leicester, au centre de l'Angleterre. Ceux-ci se sont déjà étendus à Birmingham, où près de 200 personnes cagoulées se sont rassemblées à proximité d'un temple hindou le 20 septembre avant d'escalader les grilles entourant le bâtiment, rapporte le Daily Mail, tandis que les autorités redoutent des débordements dans d'autres localités.
Comme le relate Marianne, la situation s'est envenimée «dans la torpeur de l'été», à la suite d'un match de cricket opposant le 28 août Pakistanais et Indiens à Dubaï (Emirats arabes unis), dont les seconds sont sortis vainqueurs. Des supporters indiens se sont alors rassemblés et auraient apparemment entonné des chants agressifs et insultants envers le Pakistan, donnant lieu à de premières frictions et entraînant quelques interpellations dans la soirée.
La police de Leicester procède à une série d'arrestations
Les violences ont ensuite repris quelques jours plus tard, débordant le cadre de la rivalité sportive : selon le journaliste du Guardian Sunny Hundal, des vidéos publiées par des groupes hindous ont commencé à se multiplier sur WhatsApp, montrant, «des gangs d'hommes attaquant des biens et des personnes dans des zones à majorité hindoue». Parmi elles, on aperçoit un homme en train d'arracher un drapeau hindou d'une maison, tandis qu'un autre est armé d'un couteau.
Les heurts se sont poursuivis du 5 au 11 septembre, donnant lieu à une nouvelle série d'interpellations. Le point culminant a été atteint le 17 septembre, lorsque des groupes de jeunes hommes encagoulés hindous ont défilé aux cris de «Jai Shree Ram» («Gloire au seigneur Ram»), un slogan associé aux nationalistes au pouvoir en Inde et aux violences qui ont visé les musulmans dans le pays ces dernières années, selon le Guardian. Parallèlement, des musulmans ont convergé vers un temple hindou, y arrachant un drapeau religieux. Une autre vidéo a montré un drapeau, peut-être le même, brûlé par des manifestants.
La police du comté de Leicester a confirmé l'ampleur des affrontements dans un tweet du 18 septembre et affirmé qu'elle redoublerait d'efforts pour ramener le calme dans la ville, après avoir procédé à une série d'arrestations. D'après le Guardian, la moitié des personnes interpellées suite aux affrontements venaient d'ailleurs de l'extérieur du comté de Leicester.
Jonathan Ashworth, député de l'opposition travailliste à Leicester, a dénoncé sur Times Radio des «scènes choquantes montrant une violence inacceptable» et appelé le 19 septembre sur Twitter au «calme, à la paix et à l'harmonie». Les autorités de la ville ont dénoncé le même jour le rôle des réseaux sociaux dans cette escalade de violence, ces derniers ayant servi à relayer de fausses informations au sujet, par exemple, d'une tentative de kidnapping d’une jeune fille musulmane par trois hommes hindous. «J'ai vu pas mal de choses sur les réseaux sociaux qui sont très, très, très déformantes maintenant et certaines d'entre elles mentent complètement sur ce qui s'est passé entre différentes communautés», a notamment déclaré le maire de Leicester, Peter Soulsby, à l'émission Radio 4 Today de la BBC.
Le gouvernement indien s'est quant à lui exprimé par l'intermédiaire de son ambassade au Royaume-Uni, condamnant «fermement la violence perpétrée contre la communauté indienne de Leicester et le vandalisme touchant aux lieux et symboles de la religion hindoue», tout en demandant aux autorités britanniques «des actions immédiates contre ceux impliqués dans ces attaques».
Le 20 septembre, des leaders des communautés hindoue et musulmane se sont rassemblés devant une mosquée pour envoyer un message d'apaisement. Dans une déclaration conjointe lue par Pradip Gajjar, le président du temple hindou Iskcon de Leicester, les responsables se sont dit «attristés et navrés de voir cette explosion de tension et de violence». Appelant à un arrêt immédiat de «la provocation et de la violence», ils ont condamné des «attaques physiques contre des innocents», qui «ne font pas partie de nos croyances», selon une vidéo publiée par le Leicester Mercury, le journal local.
L'échec du modèle multiculturel ?
La «très multiculturelle Leicester», selon la formule de l'AFP, présentée en 2010 par le Guardian comme «la première ville à majorité non-blanche» et comme un modèle de «vivre-ensemble», serait en fait rongée depuis longtemps par des tensions entre les communautés hindoue et musulmane. Celles-ci sont elles-mêmes «divisées en sous-groupes», selon une analyse du Leicester Mercury s'interrogeant sur les causes de ces violences. Le journal évoque le rôle de «l'importation des tensions» dans la ville, à la fois entre le Pakistan et l'Inde, mais aussi des divisions communautaires au sein même de l’Inde, en référence aux politiques menées par le Premier ministre indien Narendra Modi : mettant en avant «l'identité indienne», celles-ci ont été la source de multiples affrontements.
De surcroît, «les flux migratoires ne sont jamais figés», note le Leicester Mercury, la ville attirant «sans cesse de nouvelles personnes». Un certain nombre de migrants récemment arrivés à Leicester seraient ainsi des nationalistes hindous, ce qui expliquerait l'escalade des tensions. Et même si seule une poignée d'extrémistes des deux camps sont prêts à l'affrontement, selon le journal qui cite aussi le rôle de la pandémie, «les communautés vivent de plus en plus de manière séparée». D'autres commentateurs, tels le prêtre conservateur Calvin Robinson, ont davantage incriminé les musulmans, dont les valeurs seraient «incompatibles avec les valeurs britanniques». La députée de gauche de Leicester Claudia Webbe a quant elle mis la nécessité de lutter contre «l'extrémisme toxique» d'où qu'il vienne, se disant persuadée que la diversité culturelle reste une «force».