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Pas d'interdiction de visas aux Russes au sein de l'UE, mais des procédures plus difficiles

L'Union européenne a décidé une concession à ses membres les plus hostiles à la Russie en suspendant l'accord sur l'assouplissement du régime des visas avec la Russie de 2007. Sans imposer un bannissement général comme le réclamait l'Ukraine.

Les ministres des Affaires étrangères des 27 réunis sous présidence tchèque se sont entendu le 31 août sur une mesure destinée à rendre l'obtention des visas pour les russes plus difficile et plus chère pour les citoyens russes.

Cela réduira considérablement le nombre de nouveaux visas délivrés par les Etats membres de l'UE

Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne a déclaré que les ministres réunis à Prague avaient convenu que les relations avec Moscou «ne pouvaient pas rester inchangées» et que l'accord, conclu en 2007 avec la Russie sur l'assouplissement du régime des visas, devait être «totalement suspendu».

Concrètement, la procédure sera plus longue, plus compliquée et son coût plus élevé. «Cela réduira considérablement le nombre de nouveaux visas délivrés par les Etats membres de l'UE», a déclaré Josep Borrell en précisant au passage que les Etats pouvaient prendre des mesures nationales pour limiter les entrées par eux mêmes. 

Frustration à Kiev 

La réunion fait suite à une demande du président ukrainien qui l'a formulée dans un entretien au Washington Post publié le 8 août. Il appelait à déclarer les Russes dans leur ensemble persona non grata pour les forcer à «vivre dans leur propre monde jusqu'à ce qu'ils changent de philosophie».

L'appel fut repris dans la foulée par le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kuleba, présent à Prague, où il a échangé entre autres avec la chef de la diplomatie française Catherine Colonna.

«Nous avons discuté de ce que devrait inclure le huitième paquet de sanctions de l'UE contre la Russie, ainsi que des restrictions de voyage pour les citoyens russes», a-t-il déclaré dans un tweet accompagné d'une photo le montrant avec la ministre. 

Déçu de la décision européenne, ce dernier l'a qualifiée de «demi-mesure». «Les demi-mesures [...] à l'égard de la Russie sont exactement ce qui a conduit à l'invasion à grande échelle du 24 février», a-t-il déclaré.

La croisade antirusse des pays Baltes et de la Pologne 

Car la décision est nettement en deçà de ce qu'espéraient ses défenseurs qui faisaient pression pour une exclusion plus dure des Russes : «Il est temps de mettre fin au tourisme en provenance de Russie maintenant», écrivait notamment le Premier ministre d'Estonie Kaja Kallas, le 9 août sur Twitter.

«Il n'est pas juste que les citoyens russes puissent entrer en Europe, dans l'espace Schengen, faire du tourisme [...] pendant que la Russie tue des gens en Ukraine», avait estimé pour sa part son homologue finlandaise Sanna Marin. 

Il est temps de mettre fin au tourisme en provenance de Russie maintenant

Avant la réunion, la Pologne et les trois Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) avaient écrit dans une déclaration commune qu'ils envisageaient d'interdire unilatéralement les voyageurs russes si l'UE dans son ensemble ne le faisait pas. 

Dans une déclaration commune obtenue par l'AFP, les quatre pays avaient déclaré que la suspension de l'accord était «une première étape nécessaire». 

«Mais nous devons limiter de manière drastique le nombre de visas délivrés, surtout les visas touristiques, afin de réduire le flux de citoyens russes dans l'Union européenne et l'espace Schengen», avaient-ils ajouté. Ils ont souligné que cette mesure devrait comporter des exceptions «pour les dissidents ainsi que pour d'autres cas humanitaires». 

«Jusqu'à ce que de telles mesures soient mises en place au niveau de l'UE, nous [...] envisagerons d'introduire au niveau national des mesures temporaires d'interdiction de visa ou de restriction du franchissement des frontières pour les citoyens russes titulaires de visas européens», peut-on lire dans la déclaration rédigée en anglais.

C'est Adolf Hitler qui a essayé le dernier d'appliquer ces idées à un peuple dans son ensemble

L'idée de prendre l'ensemble de la population russe pour cible, rupture philosophique avec le caractère ciblé des sanctions précédentes, est cependant loin de plaire à tous les membres de l'Union. Avant la rencontre, le chancelier allemand Olaf Scholz estimait qu'un retrait des visas touristiques pénaliserait «tous les gens qui fuient la Russie parce qu'ils sont en désaccord avec le régime russe». La mesure a été aussi mal reçue par le Portugal

Le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell s'est prononcé contre l'idée d'«interdire à tous les Russes d'entrer en Europe», comme la Commission européenne qui souhaitait protéger pour des raisons humanitaires les dissidents, les journalistes et les familles, rappelant que les demandes devaient être examinées au cas par cas.

Au-delà des questions éthiques, la mesure est perçue comme peu efficace car relativement peu de Russes voyagent hors du pays : «Moins de 30% des Russes détiennent un passeport et leurs premières destinations de voyage sont la Turquie, l'Egypte et les Emirats arabes unis», a rappelé à l'AFP l'experte de l'ECFR (Conseil européen pour les relations internationales), Marie Dumoulin. Cette mesure aveugle est aussi jugée stratégiquement risquée car pouvant fédérer les Russes, victimes d'injustice derrière leurs dirigeants, ce qui aurait l'effet contraire de celui escompté. 

Vers des représailles de la Russie ?

Perçue comme une politique russophobe, l'idée est très mal passée à Moscou qui a promis des représailles. «C'est Adolf Hitler qui a essayé le dernier d'appliquer ces idées à un peuple dans son ensemble. Reste-t-il des questions sur la nature du régime ukrainien ?», avait déclaré le 9 août l'ancien président russe Dmitri Medvedev sur Twitter à la suite de l'appel du président Zelensky. 

«Je dirais que c'est non seulement absurde mais aussi monstrueux. C'est de la russophobie pure, de ne pas délivrer des visas pour des motifs ethniques», avait de son côté expliqué le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l'ONU Guennady Gatilov le 22 août en amont de la rencontre. Il a aussi prévenu que la Russie saisirait le Conseil de droits de l'Homme de l'ONU sur ces questions.  

Enfin, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a prévenu le 30 août que la Russie prendrait des mesures de rétorsion en réponse à ces «vagues de haine pure et simple contre [la Russie]».