Le journaliste du Point Aziz Zemouri, auteur de l'article qui a mis en cause le couple de députés de La France insoumise (LFI) Raquel Garrido et Alexis Corbière avant d'être retiré, a déposé plainte le 28 juin pour «abus de confiance» contre l'ex-député UDI Jean-Christophe Lagarde et le policier (un ancien policier des renseignements territoriaux) Noam Anouar, que Zemouri présente comme à l'origine des fausses accusations contre les deux élus.
Le 22 juin, l’article d’Aziz Zemouri publié sur le site du Point accusait le couple de députés LFI d'avoir exploité une femme de ménage sans papiers, ce qu'ils avaient aussitôt démenti fermement. «Tout est faux», avaient-ils protesté. Fait très rare, l'article avait été retiré dès le lendemain, tandis que le directeur du Point Etienne Gernelle avait reconnu «des erreurs et des manquements à la prudence», dans un message sur Twitter et sur le site de l'hebdomadaire. L’hebdomadaire a dans le même temps ouvert une enquête interne, puis mis à pied le journaliste, convoqué à un entretien préalable à un possible licenciement.
Le 23 juin, Aziz Zemouri s'était dit «convaincu de la véracité des faits». Mais depuis, il se dit persuadé d'avoir été «manipulé». Dans sa plainte, il assure que le policier, désormais détaché auprès de la ville de Drancy – dont la maire est l'épouse de Jean-Christophe Lagarde – l'a contacté fin mai pour le mettre en lien avec une femme prétendant être l'employée non déclarée et sans papiers, du couple de députés LFI. Le journaliste affirme que son informateur l'a appelé «aux alentours du second tour des législatives» pour lui demander «si l'article était prêt à paraître avant le second tour». Il lui aurait répondu que l'article était «bloqué au niveau de la direction du journal», une information qu'aurait transmise Noam Anouar à Jean-Christophe Lagarde.
Dans sa plainte déposée le 28 juin, Aziz Zemouri met aussi en cause Jean-Christophe Lagarde en faisant valoir qu'au déclenchement de la polémique, ce dernier avait tweeté des propos que le journaliste avait «uniquement tenus auprès» du policier sur le présumé blocage de l'article. Le tweet de Jean-Christophe a été depuis supprimé. Dans un message à l'AFP, l'ancien député a manifesté son «étonnement» après le dépôt de plainte et indiqué attendre «d'en prendre connaissance pour réagir s'il y a lieu».
Noam Anouar conteste être «l'auteur du complot»
Dans une vidéo postée sur sa page Facebook, Noam Anouar a quant à lui catégoriquement nié les accusations du journaliste du Point et contesté être «l'auteur du complot» visant les deux élus. «On essaie de faire de moi le coupable idéal dans l'affaire Corbière-Garrido», a-t-il regretté en présentant sa version des faits, en évoquant «une armée de journalistes» déterminés à «lui faire porter le chapeau». Il a certes reconnu avoir signalé à Aziz Zemouri, qu'il connaît depuis une douzaine d'années et considérait jusqu'à récemment «comme un ami», une affaire de vol de passeport d'une employée travaillant chez les députés LFI, point de départ de l'affaire.
En revanche, il y affirme n'être en aucun cas la source unique dans cette affaire, n'ayant pas accès aux fichiers de police qui auraient permis de vérifier les informations. Selon lui, une «deuxième source policière» est impliquée dans le dossier : «Le Point va sortir un article jeudi [30 juin] et [...] essayer de dire que l'unique source, conspirateur et manipulateur, c'est moi», y indique-t-il, promettant de démonter un «complot journalistique».
De son côté, le directeur de la rédaction du Point, Etienne Gernelle, s'est exprimé sur Europe 1 le 27 juin, a évoqué un «double enfumage», à la fois de la part de «gens qui ont essayé de monter une affaire qui n'existait pas», mais aussi de la part d'un journaliste qui [...] a perdu la raison, a fait n'importe quoi et a enfumé sa hiérarchie». Le journal doit longuement revenir, dans son édition du 30 juin, sur cette affaire, après une enquête ayant mobilisé neuf journalistes.
Le rôle de Jean-Christophe Lagarde reste à éclaircir
Par ailleurs, selon le service de vérification d'informations de Libération, CheckNews qui a contacté Noam Anouar le 27 juin, celui-ci «se défend d’avoir voulu manipuler le journaliste» et a imputé la responsabilité de ce fiasco journalistique à un «défaut de vérification d’Aziz Zemouri».
Le quotidien a en outre obtenu un enregistrement d’une conversation téléphonique en date du 27 juin entre Aziz Zemouri et Noam Anouar et affirme que «plusieurs éléments [...] pointent [...] vers Drancy et Jean-Christophe Lagarde», l'ancien député étant «mentionné plusieurs fois comme source possible de l’affaire» dans cette discussion.
Alexis Corbière, qui s'est exprimé sur l'affaire le 28 juin sur BFM TV, a estimé qu'il était «plus que plausible» que Jean-Christophe Lagarde soit mêlé aux fausses accusations du Point, évoquant «le contexte électoral» comme élément d'explication : au terme d'une campagne émaillée d’incidents et de tensions, Raquel Garrido a été élue députée de la Nupes de Seine-Saint-Denis face au président de l'UDI le 19 juin. Au cours de son interview sur Europe 1, Etienne Gernelle a indiqué qu'il n'était pas en mesure de dire si la transmission des fausses informations au journaliste du Point avait pour but d'influer sur les élections. «Je ne le sais pas pour l'instant», a-t-il expliqué, jugeant «qu'il y a beaucoup de brume dans cette affaire».
Le Point a connu un autre déboire le 28 juin : Sand Van Roy, actrice qui accuse le réalisateur Luc Besson de viol, a de nouveau fait condamner l'hebdomadaire pour diffamation pour un autre article du journaliste Aziz Zemouri, dans le cadre d'une affaire datant d'octobre 2018.