Le recours aux cabinets de conseil est «habituel et utile», ont martelé en duo la ministre de la Transformation et de la Fonction publique Amélie de Montchalin et le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt lors d'une conférence de presse tenue à Bercy le 30 mars. Les deux membres du gouvernement ont tenté de justifier cette pratique en réponse à une polémique grandissante après un rapport sénatorial remis mi-mars soulignant un «phénomène tentaculaire», révélant notamment que les dépenses de conseil des ministères sont passées de 379,1 millions d'euros en 2018 à 893,9 millions d'euros en 2021.
Comme le relève France Info, Amélie de Montchalin a dénoncé «des attaques de plus en plus fortes et de plus en plus grossières» et une «récupération politique» de la part de certains. Les deux ministres ont tenu à tordre le cou à de «fausses allégations», alors qu'un article du Canard Enchaîné paru le 30 mars a mis en cause la «complaisance» et «l'inertie» de Bercy, qui n'aurait pas réagi aux pratiques d'optimisation fiscale de McKinsey.
En réponse aux craintes d'une dépendance des pouvoirs publics envers certains cabinets de conseil, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique a rappelé qu’«aucun cabinet de conseil n'a décidé d'aucune réforme et la décision revient toujours à l’Etat», répondant ainsi à une accusation selon laquelle McKinsey aurait été à l’origine de la diminution des allocations personnalisées de logement. «Nous ne nous sommes pas dessaisis de nos responsabilités», a-t-elle assuré, ajoutant que la pratique consistant à recourir à ces prestataires est «répandue », «habituelle» et «utile» dans la majorité des cas.
«Il n'y a rien à cacher», affirme Olivier Dussopt
Il n'existe pas non plus d'interdépendance entre les cabinets de conseil et l’Etat, pour le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt qui a affirmé que le recours aux cabinets de conseil représentait «0,3% de la masse salariale totale de l'Etat». Plus précisément, le cabinet McKinsey, sous le feu des projecteurs car accusé de ne pas avoir payé d'impôts sur les sociétés en France entre 2011 et 2020, représente 5% des dépenses de conseil en stratégie de l’Etat, a détaillé Olivier Dussopt, tandis que le gouvernement représente de son côté 5% du chiffre d'affaires de McKinsey. Evoquant de «fausses informations», le ministre a aussi contesté certains chiffres avancés dans la presse et «les différents supports de communication autour de la commission d'enquête», affirmant qu'«aucun cabinet de conseil n'a perçu plus d'un milliard d'euros».
Rappelant que «la situation fiscale de McKinsey est protégée par le secret fiscal», Olivier Dussopt a confirmé que les services de Bercy ont diligenté une opération de contrôle à la fin de l'année 2021, mais a refusé de commenter l'issue ou les conséquences possibles de ce contrôle. «Il n'y a rien à cacher», a insisté le ministre, qui a insisté sur le fait que le gouvernement avait fait preuve de «transparence» en répondant aux questions de la commission sénatoriale d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés, transmettant un grand nombre de documents.
«Toutes les règles de la commande publique ont été respectées», a ajouté Amélie de Montchalin, reprenant l’argument employé par Emmanuel Macron lors d’une interview sur France 3 le 27 mars. Mais, si «l'Etat assume parfaitement de recourir à des cabinets de conseil dans certaines circonstances», des améliorations sont nécessaires, selon la ministre.
Une nouvelle doctrine de recours aux consultants a ainsi été définie en janvier 2022 afin de s'assurer que les services publics ne disposaient pas des compétences en interne avant de recourir aux cabinets de conseil. Amélie de Montchalin a ainsi fait part de la volonté du gouvernement de «réarmer l’Etat pour renforcer les compétences internes» et prévoit dès 2022 de «réduire d'au moins 15% le recours aux prestations de conseil externe ».
Les sénateurs n'ont pas été convaincus
La commission d'enquête sénatoriale a estimé dans un communiqué, après la conférence de presse, que le gouvernement continuait de «minimiser l’influence des consultants». «Si le gouvernement affirme qu'il n'a "rien à cacher", il lui aura fallu 5 ans pour réagir», ironisent les sénateurs, soulignant que cet exercice de communication gouvernementale à dix jours du premier tour «n’a pas levé toutes les zones d’ombre». Ainsi, «le fiasco de la mission de McKinsey sur l’avenir du métier d’enseignant», «la répartition des contrats pendant la crise sanitaire» ou le recours au cabinet McKinsey malgré les doutes sur sa situation fiscale seraient autant d'exemples d'une «opacité». Celle-ci renforce «le climat de défiance qui entoure l'intervention des consultants dans le secteur public», déplorent encore les sénateurs de la commission d'enquête.
Le président de la commission d'enquête, Arnaud Bazin (LR), avait également estimé auprès de Public Sénat que «tout l’appareil d’Etat est mobilisé autour de ce sujet-là, manifestement», en évoquant «une grande fébrilité» de la majorité dans ce dossier, qui se serait justement traduite par l'organisation à la hâte de la conférence de presse du 30 mars. Le même jour, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait au contraire estimé sur Europe 1 que l'affaire McKinsey était «la preuve de l’immense désarroi des oppositions [...] qui montent en épingle des affaires qui n’existent pas».