La visite de Sébastien Lecornu en Guadeloupe aura été mouvementée. Arrivé le 28 novembre sur l'île, le ministre des Outre-mer – dont la mission est d’apaiser les tensions et trouver une solution pour sortir de la crise – n'a pu trouver d'accord avec les syndicats à l'origine du mouvement social qui secoue les Antilles. Pire encore, la rencontre entre le ministre et les représentants de l'intersyndicale n'aura duré qu'une dizaine de minutes.
En cause, la volonté de Sébastien Lecornu d'afficher sa «fermeté» face aux violences qui ont eu lieu sur l'île depuis le début de la crise. Cité par l'AFP, le ministre juge ainsi qu'aucune discussion ne sera possible tant que les organisations syndicales ne condamneront pas «les tentatives d'assassinat contre des policiers et des gendarmes», un «préalable pourtant évident et indispensable» pour Sébastien Lecornu. Les représentants syndicaux ayant refusé ce préalable, la rencontre s'est résumée à une simple remise de «documents de revendication».
Des relations tendues entre le ministre et les élus locaux
Selon l'AFP, Sébastien Lecornu a déclaré qu'il n'était pas venu sur l'île «pour incarner un Etat faible». Le ministre a cependant tempéré ses propos en ajoutant aussi vouloir incarner «un Etat qui dialogue» tout en précisant que «la main [était] tendue», mais que cela restait «une main de fermeté».
Sébastien Lecornu a répété que l’obligation vaccinale des soignants et pompiers, reportée au 31 décembre, ne serait pas levée, car «les lois de la République ont vocation à s’appliquer» dans les Antilles françaises. Le ministre des Outre-Mer s’est dit aussi «plus que choqué» par la demande de libération des personnes condamnées pour violence, après plusieurs jours de très fortes tensions.
Dans la foulée des déclarations du ministre, des élus locaux guadeloupéens ont décidé de ne pas se rendre à une rencontre prévue avec Sébastien Lecornu, «eu égard à l'attitude et aux propos tenus par le ministre des Outre-mer». Ils se disent néanmoins «entièrement disposés à travailler avec toutes les parties afin d'apporter des réponses conjointes et pertinentes» aux revendications syndicales.
Les relations entre Sébastien Lecornu et les élus locaux de Guadeloupe se sont brusquement détériorées quand ce dernier a mis sur la table le 26 novembre la question de l'autonomie de l'île. En réponse, plusieurs élus de l'île avaient réclamé le 27 novembre la venue d'une délégation interministérielle au sujet des «compétences de l'Etat».
L'intersyndicale, quant à elle, estime que Sébastien Lecornu «n'est pas venu pour négocier, mais parce qu'il a été forcé par le rapport de forces que nous avons installé». «On ne peut pas négocier en 24h. «[Avec Sébastien Lecornu], c'est le père venu [...] donner une leçon, mais la leçon ne passera pas», a déclaré Jocelyn Zou de FO pompiers à la presse et repris par l'AFP.
Après la brève réunion avec le ministre, les organisations syndicales ont souhaité rappeler à la presse présente leurs revendications «prioritaires» telles que «l'arrêt des suspensions des personnels et professions libérales non-vaccinés», la «suspension des condamnations des personnes pour les violences», et un «plan d'urgence pour la qualification des jeunes et les conditions de travail des familles guadeloupéennes». Des revendications qui, comme on peut le voir, vont au-delà de la simple crise sanitaire et s'inscrivent dans un contexte plus grand de ce que beaucoup d'Antillais considèrent comme une marginalisation économique de leurs îles par rapport à la métropole.
Un rassemblement organisé devant la sous-préfecture
Plusieurs centaines de personnes s'étaient réunies, devant la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre pendant que le ministre recevait les syndicats. Le «collectif des organisations en lutte» avait appelé à un rassemblement en début de matinée afin de pousser le ministre des Outre-Mer à accepter de rencontrer la trentaine d’entités qui composent le groupe, seule condition pour que de «véritables» négociations aient lieu. Le 28 novembre, Sébastien Lecornu avait déclaré n'être prêt à recevoir qu'une dizaine de représentants du collectif.
Lors du rassemblement, les manifestants ont dénoncé la politique du gouvernement, qualifiant cette dernière de «mascarade de communication sous couvert de répression».
À sa sortie de la sous-préfecture, le ministre a été pris à partie par une manifestante qui lui a reproché son attitude «méprisante» et son manque de compassion envers les Antilles.
Sébastien Lecornu doit se rendre le 30 septembre en Martinique, où une situation similaire l'attend. Le ministre est censé rencontrer des représentants l'intersyndicale de l'île. Les syndicats, l’État et les élus locaux y ont signé un «accord de méthode» pour tenter de sortir de la crise, selon la préfecture. D'après l'AFP, huit thématiques (santé, jeunesse, inflation, transports, chlordécone, économie, pêche, culture) doivent faire l'objet de discussions entre le gouvernement et les syndicats.
Emaillé de violences, dégradations, pillages, incendies et blocages routiers, le mouvement social a révélé les attentes d'une population guadeloupéenne où beaucoup vivent sous le seuil de pauvreté et où le chômage des jeunes explose (bien supérieur à celui de la moyenne nationale, 35% contre 20% en 2020). La situation reste instable dans les deux îles – toujours sous couvre-feu – avec des barrages filtrants ou hermétiques, parfois démontés par les forces de l'ordre avant d'être remontés par les manifestants, selon des journalistes de l'AFP. Les forces de l'ordre ont de nouveau essuyé des tirs par arme à feu en Guadeloupe dans la nuit du 26 au 27 novembre, sans qu'il n'y ait de blessés, selon la préfecture.