France

Bruno Le Maire : «Nous ne pouvons plus compter sur les Etats-Unis pour notre protection stratégique»

Le ministre français de l'Economie a appelé l'UE à «ouvrir les yeux» et à cesser de penser que «les Etats-Unis allaient [la] défendre quoi qu'il arrive». Un plaidoyer pour une défense européenne qui ne fait pas l’unanimité parmi les Etats membres.

Ce 23 septembre, le ministre français de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire a estimé que la crise des sous-marins montrait que l'Union européenne (UE) ne pouvait «plus compter sur les Etats-Unis pour garantir [sa] protection stratégique», et a appelé les Européens à «ouvrir les yeux». Une incitation à faire avancer le projet français de défense européenne, qui est au point mort en raison de l'opposition de nombreux pays de l'Union.

«La première leçon qu'il faut tirer de cet épisode, c'est que l'Union européenne doit construire son indépendance stratégique. L'épisode afghan, l'épisode des sous-marins, montrent que nous ne pouvons plus compter sur les Etats-Unis d'Amérique pour garantir notre protection stratégique», a-t-il déclaré sur France info.

«Les Etats-Unis n'ont plus qu'une seule préoccupation stratégique, la Chine, et contenir la montée en puissance de la Chine», analyse également le ministre, qui a déploré qu'autant l'ancien président Donald Trump que Joe Biden «estiment que leurs alliés [...] doivent être dociles». «Nous, nous estimons que nous devons être indépendants», a déclaré Bruno Le Maire.

Penser [...] que les Etats-Unis vont continuer de nous protéger, nous défendre quoi qu'il arrive, c'est une erreur

«Il faut que nos partenaires européens ouvrent les yeux», a-t-il ajouté, critiquant le soutien apporté par le Danemark aux Etats-Unis, à contre-courant des critiques formulées par les autorités européennes, après la décision australienne d'annuler le contrat conclu avec le français Naval Group en faveur d'un nouveau partenariat avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. «Penser comme la chef d'Etat du Danemark que les Etats-Unis vont continuer de nous protéger, nous défendre quoi qu'il arrive, c'est une erreur», a jugé Bruno Le Maire, en résumant sa position en ces termes : «Nous ne pouvons plus compter que sur nous».

La défense européenne, priorité française qui divise le continent

Le 22 septembre, le Premier ministre danois Mette Frederiksen avait en effet défendu le «très loyal» président américain Joe Biden, indiquant ne pas «du tout» comprendre les critiques françaises et européennes sur le dossier des sous-marins.

Tandis que la crise a intensifié en France – mais aussi dans d'autres pays de l'UE – le débat sur la nécessité d'avancer vers une plus grande souveraineté européenne en matière de défense pour s'affranchir du parapluie américain, la déclaration Mette Frederiksen symbolise les divisions qui perdurent au sein de l'UE sur la question de la construction d'une défense européenne indépendante.

Ces divisions sont notamment dues aux fortes réticences des pays de l'Est – très attachés au parapluie de l'OTAN – mais aussi de l'Allemagne, dont la ministre Défense Annegret Kramp-Karrenbauer avait déclaré en novembre dernier que «les illusions d’une autonomie stratégique européenne [devaient] cesser». Les discussions ont cependant été relancées après la sortie du Royaume-Uni, fermement opposé à la perspective d'une armée européenne, tandis qu'en 2018, Emmanuel Macron avait déjà proposé la création d'une «vraie armée européenne», en vain.

Même lorsqu'il s'agit de coopération ponctuelle, la volonté du chef de l'Etat de s'appuyer sur ses partenaires européens semble trouver peu d'écho : la force Takuba – une unité composée en partie de soldats de forces spéciales européennes visant à diminuer la présence française au Mali – a du mal à prendre son envol et reste encore à l’état d’embryon militaire.

Maigre consolation pour Emmanuel Macron dans l'épineux dossier  des sous-marins : dans le communiqué publié suite à un appel téléphonique sollicité par Washington, le président américain Joe Biden a jugé nécessaire «que la défense européenne soit plus forte et plus performante» pour contribuer à la sécurité transatlantique et compléter «le rôle de l'OTAN». Un sujet sur lequel les Etats-Unis se sont par le passé montrés ambivalents.