Une évacuation de l'hippodrome a été décidée par les autorités à Redon (Ille-et-Vilaine) le 19 juin après 24 heures au cours desquelles les participants à un technival interdit ont joué au chat et à la souris avec la gendarmerie mobile.
Toutefois, il est encore bien difficile de déterminer qui a donné l'ordre de détruire le matériel de sonorisation des participants. Comme on peut le voir sur des images filmées à l'intérieur du dispositif et sur certaines photographies qui ont été publiées sur Twitter.
Très tôt des questions ont fusé en direction de la gendarmerie nationale et de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, sise à Rennes : qui a donné cet ordre ? Pour quelle raison ? Sur quel fondement légal ?
L'avocate Marianne Rostan, prenant la défense des festivaliers, a souligné auprès de Ouest-France : «Si un procureur décide la destruction de biens car ceux-ci sont dangereux, nuisibles ou encore illicites, il doit le notifier aux propriétaires, qui ont la possibilité d’engager un recours dans un délai de cinq jours.»
Interrogé par cette même source, le procureur de la République à Rennes a rétorqué : «Les faits éventuels de destruction de matériel ne relèvent ni d’instructions du parquet de Rennes ni d’une enquête judiciaire.» Le préfet d'Ille-et-Vilaine, Emmanuel Berthier, s'est pour sa part félicité, toujours dans les pages de Ouest-France que l'opération ait permis «la neutralisation de l’ensemble des dispositifs de diffusions sonores.»
Dans des propos plus opérationnels, également rapportés par Ouest-France, le colonel Sébastien Jaudon qui dirige les gendarmes du département assume : «L’objectif était de mettre fin à la fête et d’encourager les gens à partir. Pour les empêcher d’écouter de la musique, nous avons saisi le matériel.»
«L’intervention de cette nuit [entre le 18 et le 19 juin] s’est passée dans d’autres conditions qui nous ont conduits à l’étape d’aujourd’hui. Cette nuit, on était dans une configuration de plusieurs heures d’affrontements avec des gendarmes durement touchés, aujourd’hui, on a pris le temps de présenter des options au préfet et d’opter pour le scénario de ce soir», a de son côté expliqué le général de gendarmerie au soir du 19 juin.
Il fallait pouvoir aller vite, saisir rapidement le matériel pour faire cesser le tapage et éviter des noyades
Techniquement, ce n'est pas vraiment une évacuation du site qui a été décidée, les forces de sécurité ont préféré laisser les festivaliers se masser dans un lieu circonscrit, l'hippodrome, pour mettre fin à la source du rassemblement : la musique. Pour ce faire, les gendarmes ont donc saisi le matériel, mais visiblement, ils ont aussi procédé à la destruction de certaines enceintes, platines et ordinateurs.
Contacté par RT France, le service de presse de la gendarmerie nationale a livré une explication technique au téléphone : «Ce qu'il faut prendre en compte sur ce cas-là, c'est qu'il s'agissait d'une évacuation où les forces ont dû exécuter une manœuvre complexe en agissant très rapidement pour ne pas exposer les participants qui se trouvaient proches d'un cours d'eau. D'ailleurs certains ont été secourus par la brigade fluviale.»
L'officier de presse qui a répondu à notre demande a également précisé qu'il «y avait un caractère très virulent de certains participants, déjà la veille, avec des gens qui se réinstallaient à un endroit pendant que les gendarmes en sécurisaient un autre.» Et de conclure : «Il fallait pouvoir aller vite, saisir rapidement le matériel pour faire cesser le tapage et éviter des noyades.»
En creux, cela n'est pas formulé expressément, mais ce technival avait aussi été dédié à la mémoire de Steve Maia Caniço, mort noyé dans la Loire à Nantes lors d'une intervention policière en 2019 pour faire cesser un soundsystem lors de la fête de la musique. On comprend donc que la rivière (l'Oust) qui borde le site de l'hippodrome de Redon soit un élément qui a été pris en compte par les forces de sécurité.
Et en ce qui concerne la destruction du matériel, la réponse est toute prête : «Pour tout contentieux lié à la saisie du matériel, les gens saisiront la justice. Il y a une procédure judiciaire à suivre pour ce type de contentieux.»
«Je n'ai donné aucun ordre de destruction de matériel», assure le préfet
Interrogé par RT France, le préfet d'Ille-et-Vilaine Emmanuel Berthier a pour sa part fourni une réponse lapidaire, livrée par son secrétariat par courrier électronique, qui n'est pas sans rappeler les éléments de langage administratif de la gendarmerie : «A la suite de votre sollicitation, voici les éléments de réponse du préfet d'Ille-et-Vilaine, Emmanuel Berthier : "A Redon, les 18 et 19 juin 2021, s'est déroulée une opération de maintien de l'ordre en réponse à un rassemblement interdit. Je n'ai donné aucun ordre de destruction de matériel. La Justice se prononcera, si elle est saisie d'éventuels contentieux."» Interrogé par RT France le secrétariat du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, n'a pas répondu à notre sollicitation.
David Libeskind, avocat qui a notamment pris la défense de plusieurs manifestants Gilets jaunes, a expliqué à RT France : «Les festivaliers étaient en infraction parce qu'ils n'avaient pas déclaré le rassemblement, manifestement. Et quand il y a une infraction, on peut employer divers moyens pour faire cesser le produit de celle-ci. En l'occurrence, c'était la sonorisation. Mais il aurait fallu une instruction du parquet, sinon ils n'ont pas à détruire le matériel de cette façon.»
Au-delà des questions matérielles, un jeune homme de 22 ans a perdu sa main droite lors de l'explosion d'une grenade GM2L, et cinq gendarmes ont été blessés dont un au visage, au cours de cette opération.
Antoine Boitel