France

Le pass sanitaire publié au Journal officiel après un parcours chaotique

Le texte autorisant la mise en place d'un pass sanitaire est désormais inscrit sur les tables de la loi française, après un parcours semé d’embûches et marqué par de nombreuses critiques venant d'experts et de responsables politiques de tous bords.

Ce 1er juin, la loi encadrant la sortie progressive de l’état d’urgence sanitaire a été publiée au Journal officiel. Ce texte de 18 articles contient, entre autres mesures, l'instauration le 9 juin du pass sanitaire, qui conditionnera «l'accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels» et les déplacements «à destination ou en provenance du territoire» français. Ce dispositif est pourtant controversé, et son adoption a fait l'objet de péripéties. 

Des inquiétudes exprimées par des experts d'indépendants 

L'idée d'un pass sanitaire présenté comme une mesure de lutte contre le Covid est évoquée depuis plusieurs mois par le gouvernement, et a depuis lors fait l'objet de critiques. En février dernier, Emmanuel Macron avait lui-même prévenu lors d’une conférence de presse que la mise en œuvre d’un tel document allait «poser beaucoup de questions techniques, de respect des données individuelles, d’organisation de nos libertés». Le pass sanitaire ne sera pas au sens strict un passeport vaccinal – puisqu'il pourra également être obtenu avec un résultat négatif de dépistage du virus ou une attestation de rétablissement après une contamination – mais les questions relatives au traitement des données privées et à la surveillance des déplacements et des activités des citoyens sont au cœur de la polémique entourant ce certificat.

Quelques jours après la confirmation de la mise en œuvre du pass sanitaire par Emmanuel Macron lors d'un entretien à la presse régionale détaillant le calendrier du déconfinement, le Conseil scientifique avait  estimé qu'un pass sanitaire pouvait être utilisé pour faciliter «une forme de retour à la vie normale», mais à condition que ce certificat soit utilisé «de manière temporaire et exceptionnelle». Selon cet organe consultatif, ce pass soulève en effet «de nombreuses questions d'ordre technique, pratique, éthique et de santé publique», et ne doit donc pas «être utilisé pour des actes de la vie quotidienne». 

Le 21 mai, le défenseur des droits Claire Hédon avait également  exprimé son inquiétude face au pass sanitaire, et avait demandé aux autorités des «précisions». Alors que le texte était en discussion au Parlement, Claire Hédon s'était félicitée de «modifications [...] dont certaines vont dans le sens [de ses] recommandations» – comme «l'intégration dans le texte de garanties complémentaires [...] en vue de protéger les droits et libertés, notamment les données de santé» – mais avait demandé des précisions sur plusieurs points : elle souhaitait savoir si le pass sanitaire s'appliquerait aux enfants, avoir des précisions sur sa durée de validité «en cas d'immunité reconnue après une infection au Covid-19», ainsi que plus de détails sur les modalités d'évaluation du dispositif. Le défenseur des droits soulignait également que le «texte ne précise pas non plus les obligations faites aux professionnels et aux bénévoles œuvrant dans les lieux et les établissements accueillant du public, ce qui peut soulever des risques de discrimination». Claire Hédon critiquait également la procédure d'adoption du texte, disant «regretter vivement que le gouvernement ait présenté [le pass sanitaire] par voie d'amendement, dans des délais particulièrement brefs et sans concertation». «Cette procédure ne permet pas de bénéficier des informations et garanties sur la forme et le fond qu'auraient apporté une étude d'impact et un avis du Conseil d'Etat», avait-elle estimé.

Des critiques venues de tous bords 

Le pass sanitaire a également fait l'objet de critiques de la part de responsables politiques, y compris au sein de la majorité. Le député LREM Pacôme Rupin avait ainsi estimé que le dispositif «ressembl[ait] à une discrimination» et qu'il s'agissait pour lui d'un «précédent». «Le texte n'est pas clair», avait renchéri le député Modem Philippe Latombe. Malgré l'avis défavorable du ministre de la Santé Olivier Véran, des députés de la majorité emmenés par la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, avaient même souhaité mettre des garde-fous en amendant le projet gouvernemental, afin d'exclure explicitement les activités du quotidien du périmètre de ce futur «pass sanitaire».

Les critiques ont également fusé de la part des membres de l'opposition, de droite comme de gauche. «On ne fait pas de distinguo entre rassemblements intérieurs ou extérieurs», avait souligné le député le LR Philippe Gosselin, se demandant par exemple ce qui était prévu pour les pèlerinages. «Il n'y aura pas de limite dans la discrimination», avait de son côté prédit l'insoumis Eric Coquerel pour qui tel ou tel restaurateur voudra exiger le pass sanitaire pour subordonner l'accès à son établissement.  Le président des Patriotes Florian Philippot avait quant à lui estimé sur Twitter qu'il s'agissait d'un «apartheid» et que les députés qui avaient soutenu le projet «porteront éternellement le poids de la honte et du déshonneur», avant d'en appeler à «boycotter les établissements qui utiliseront le pass de la honte». Dans une vidéo relayée sur Twitter, le député de l'Essonne et président de Debout la France Nicolas Dupont-Aignant avait estimé pour sa part que le pass numérique aboutirait «à un traçage, à un fichage généralisé des Français». Pour lui, ce pass est un «prétexte pour mettre en place un fichage, une numérisation, une surveillance généralisée des français», qui serait selon lui l'amorce d'un «changement civilisationnel».

Une inquiétude partagée par l'éditorialiste Alexis Poulin, qui avait le 30 avril sur RT France assimilé le projet de pass sanitaire à une «forme de fichage et de bioéthique» qui entraînerait un «risque de la rupture de l'égalité entre les citoyens, entre ceux qui ont eu accès à la vaccination, ceux qui ne souhaitent pas se faire vacciner».

Des députés de gauche (GDR, LFI et socialistes), avaient quant à eux saisi le Conseil constitutionnel car ils estimaient que le projet de loi contenant le pass sanitaire donnait «des pouvoirs très importants au gouvernement sur des bases beaucoup trop vagues et imprécises». «En réservant l'application des dispositions contestées aux cas de grands rassemblements de personnes, le législateur, qui n'avait pas à déterminer un seuil minimal chiffré, n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence», ont cependant estimé les «sages» du Conseil dans un communiqué, précisant que la notion d'activité de loisirs auquel le pass est restreint «n'est ni imprécise ni ambiguë» et «exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle». Ceux-ci dont donc validé l'utilisation du pass sanitaire pour les grands rassemblements.

Par ailleurs, le vice-président centriste du Sénat Vincent Delahaye et l'ex-député européen et président du parti Les Patriotes Florian Philippot étaient présents à la manifestation contre l'instauration d'un pass sanitaire qui s'est tenue le 22 mai sur l'esplanade du Trocadéro à Paris, à l'appel du collectif Ami entends-tu.

L'adoption du pass compliquée par une fronde des députés MoDem 

Cette opposition parlementaire au pass sanitaire a été symbolisée par les difficultés qu'a rencontrées le vote de cette mesure le mois dernier. Le gouvernement avait dû demander une seconde délibération, après que, à la surprise générale, une majorité de députés (108 contre 103) eurent voté le 11 mai en fin de journée contre l'article du projet de loi qui comprenait notamment l'instauration du pass. L'Assemblée nationale avait finalement adopté le pass sanitaire en pleine nuit par 208 voix contre 85, mais le gouvernement avait été contraint de revoir l'article premier du texte – sans toutefois modifier les dispositions concernant le pass sanitaire. Pour le MoDem, la rédaction de cette disposition dans l'article 1 était trop «floue». A l'unisson avec les oppositions, il réclamait davantage de précisions au regard de son périmètre et de ses critères d'application (surface, densité, extérieur/intérieur, etc). 

La publication d'une interview au Parisien du Premier ministre le 10 mai n'avait rien arrangé : Jean Castex y avait en effet annoncé qu'au cinéma ou au spectacle, «la règle ser[ait] 1 siège sur 3, avec un plafond de 800 personnes par salle». Le groupe centriste espérait aussi une réouverture des discothèques début juillet, avec pass sanitaire, mais n'a pas eu gain de cause à ce stade. Le gouvernement s'est contenté de promettre au secteur une «clause de revoyure» en juin.

De son côté, le Parlement européen avait déjà, dès le 28 avril,  donné son accord au «certificat vert» visant à permettre la circulation entre les pays membre de l'espace Schengen. Cet «euro-pass sanitaire» devrait entrer en vigueur dès la mi-juin et est similaire au pass sanitaire français, à ceci près que la France ne reconnaîtrait pas la protection accordée par les vaccins russes ou chinois, alors qu'un pays membre de l'UE a l'autorisation d'ajouter un vaccin qui ne serait pas reconnu par les autorités sanitaires européennes pour autoriser l'entrée sur son territoire.