France

Déficit démocratique, fichage numérique : confirmé par l'exécutif, le pass sanitaire fait débat

En vigueur en France dès le 9 juin, le pass sanitaire suscite déjà les critiques d'une partie de l'opposition. Parmi les principaux reproches faits par ses adversaires : l'absence de débat et la surveillance numérique des citoyens qu'il permettrait.

Dans son entretien détaillant le calendrier du déconfinement accordé à la presse régionale et publié le 29 avril dans divers journaux, Emmanuel Macron a également détaillé sa vision d'un «pass sanitaire» et les usages qui pourraient en être faits, en évoquant notamment les grands rassemblements. Elaboré au niveau européen, ce pass conditionnant certains déplacements à l'étranger ou l'accès à certains lieux sera prochainement instauré en France. Une perspective qui continue à susciter de nombreuses inquiétudes, tant d'un point de vue démocratique qu'à propos du «fichage numérique» des citoyens auquel il pourrait servir, selon ses détracteurs. 

Selon le calendrier fourni par le chef de l'Etat, ce pass entrera en vigueur dès le 9 juin et sera la condition pour accéder à des grands sites accueillants plus de 5 000 personnes (lieux culturels, stades et foires). Puis, à partir du 30 juin, il sera nécessaire pour assister à tout type d'évènements regroupant plus de 1 000 participants. 

Présenté par Emmanuel Macron comme un «outil supplémentaire pour assurer la protection des Français» face au Covid-19, le document «sera papier ou numérique, via l’application TousAntiCovid, et permettra de montrer qu’on est vacciné ou testé négatif dans les deux jours qui précèdent». Le chef de l'Etat promet toutefois qu'il ne sera pas «un droit d’accès qui différencie les Français».

«Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis», assure Emmanuel Macron, affirmant en revanche que «dans des lieux où se brassent les foules [...] il serait absurde de ne pas l’utiliser».

Un débat au Parlement sur un projet déjà acté ? 

Le président de la République reconnaît par ailleurs que ce pass sanitaire concerne «nos libertés publiques», raison pour laquelle le Parlement «se saisira de la question». Une validation par les députés et les sénateurs déjà évoquée la veille par le Premier ministre Jean Castex, qui assimilait le pass sanitaire à «un élément de sécurité qui touche à nos libertés fondamentales». Et d'ajouter qu'il est «normal que le législateur s'en saisisse».

De son côté, le Parlement européen a, le 28 avril, déjà donné son accord au «certificat vert» visant à permettre la circulation entre les pays membre de l'espace Schengen. Présenté par la Commission européenne, cet «euro-pass sanitaire» devrait entrer en vigueur dès la mi-juin et est similaire au document défendu par l'exécutif français au niveau national : selon le commissaire européen Thierry Breton, on y trouvera le nom, le date de naissance, le numéro de passeport (certifié avec le QR code), mais aussi un certificat de vaccination, le type de vaccin injecté et, dans l'hypothèse où la personne a été porteuse de la maladie, si «elle a des anticorps ou pas». «On pourra trouver aussi pour ceux qui n'ont eu ni le vaccin, ni la maladie, et pour lesquels on demandera un test PCR, l'état de votre test PCR», a également précisé le haut fonctionnaire européen.

Tandis que le pass sanitaire est déjà acté au niveau européen et national, l'opportunité d'un débat parlementaire pose question – en particulier dans un laps de temps si réduit, et alors que ses modalités sont déjà définies dans les grandes lignes. Cette annonce de l'exécutif entend probablement désamorcer les critiques de déficit démocratique qui s'élèvent contre l'instauration du pass sanitaire, mais risque de cantonner l'Assemblée nationale à un rôle de «chambre d'enregistrement», qui lui est souvent reproché. 

La crainte d'une surveillance numérique des Français

En février dernier, Emmanuel Macron avait déjà prévenu lors d’une conférence de presse que la mise en œuvre d’un pass sanitaire allait «poser beaucoup de questions techniques, de respect des données individuelles, d’organisation de nos libertés», comme le rappelle La DépêcheLe chef de l'Etat avait également annoncé à cette occasion que ce pass ne serait pas un passeport «uniquement lié à la vaccination». Le passeport vaccinal au sens strict – difficilement applicable dans l'immédiat, de l'aveu même d'Emmanuel Macron «alors même que nous n’aurions même pas ouvert la vaccination aux plus jeunes» – est par ailleurs rejeté par sept Français sur dix selon un sondage du CESE, ceux-ci craignant une «atteinte aux libertés privées».

Si la vaccination ne sera donc qu'une option pour détenir le pass sanitaire, les questions relatives au traitement des données privées et à la surveillance des déplacements et des activités des citoyens se posent elles aussi.

La Commission européenne a tenté de rassurer en s'engageant quant au respect de la protection des données personnelles dans le cadre de son certificat sanitaire. Dans un avis publié le 7 avril 2021, le Comité européen de la protection des données et le Contrôleur européen de la protection des données soulignent en effet que, s'il est selon eux légitime, le projet «ne permet pas et ne doit en aucun cas conduire à la création d'une base centrale de données personnelles au niveau de l’UE» et que le certificat «devra être limité à la pandémie de Covid-19 et suspendu une fois la pandémie surmontée». L'utilisation de données sanitaires conditionnant un accès aux lieux publics devra par ailleurs «être fondée sur une base légale précise», d'après ces autorités indépendantes. 

Des garanties insuffisantes ?

Mais ces garanties n'ont pas convaincu pas l'ensemble des commentateurs et responsables politiques.

S'exprimant le 30 avril sur RT France, l'éditorialiste Alexis Poulin a ainsi assimilé le projet de pass sanitaire à une «forme de fichage et de bioéthique» qui entraînerait un «risque de la rupture de l'égalité entre les citoyens, entre ceux qui ont eu accès à la vaccination, ceux qui ne souhaitent pas se faire vacciner». Ce pass est selon lui également problématique car il repose sur une vaccination dont on ne connaît pas la durée d'immunisation procurée, et sur des tests qu'il faudrait réaliser «quasiment tout le temps pour être sûr de pouvoir aller quelque part». Alexis Poulin a estimé que ce pass sanitaire ouvrait une boîte de Pandore : «On est dans quelque chose d'assez fou, qui est en train d'ouvrir les vannes à une société du biocontrôle total à la chinoise, où vous êtes bon ou mauvais citoyen». «Il faut être extrêmement vigilant et ne pas prendre ça pour une mesure sanitaire», ces «mesures aléatoires» pouvant «durer et s'inscrire dans la loi», a-t-il prévenu.

Dans une vidéo relayée sur Twitter, le député de l'Essonne et président de Debout la France Nicolas Dupont-Aignant estime pour sa part que le pass numérique aboutit «à un traçage, à un fichage généralisé des Français». Arguant du fait que le vaccin n'empêcherait pas la transmission du Covid-19 et que par conséquent «chacun est responsable de sa situation», le maire d'Yerres affaire que ce pass est un «prétexte pour mettre en place un fichage, une numérisation, une surveillance généralisée des français», qui serait selon lui l'amorce d'un «changement civilisationnel». 

Le fondateur et président des Patriotes Florian Philippot – qui milite activement pour la réouverture immédiate et sans conditions de tous les lieux publics – s'inquiète lui aussi du fait que le pass sanitaire puisse déboucher sur «une société de ségrégation selon l’état de santé, et sur l’eugénisme». «Tous les verrous sauteront. On met le doigt dans un engrenage monstrueux. Zéro débat éthique, ni moral. Valider ça c’est porter une immense responsabilité», met-il en garde.

Même opposition de la part du fondateur et président de l'UPR François Asselineau, qui a estimé que «le pass sanitaire pour les lieux sportifs et culturels [était] inacceptable et [devait] être combattu».

Le président de République souveraine Georges Kuzmanovic a quant à lui déclaré que le pass sanitaire était «une nouvelle atteintes aux libertés de la part de Macron» et un «un déni de démocratie», car il est mis en place «sans débat parlementaire» et «sans égalité face à l'accès aux vaccins, dont seul le gouvernement est responsable».