France

Visite de Castex reportée, slogans hostiles : la relation entre la France et l'Algérie au plus bas ?

Officiellement reportée pour cause de logistique sanitaire complexe, la visite du Premier ministre français en Algérie était prévue dans un contexte de regain des tensions entre les deux pays, pourtant partenaires économiques essentiels.

Le report de la visite en Algérie du Premier ministre français Jean Castex, initialement prévue ce 11 avril, agit comme un révélateur des tensions entre le pays du Maghreb et l'ancienne puissance coloniale. Côté hexagonal, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes Clément Beaune a tenté de faire redescendre la pression, appelant à un «apaisement» dans la relation avec Alger, à la suite de plusieurs «paroles excessives dans les relations franco-algériennes», a-t-il expliqué dans l'émission Le Grand jury RTL/Le Figaro/LCI.

Le 8 avril, au moment où le voyage du Premier ministre français était reporté, le ministre algérien du Travail El Hachemi Djaâboub a qualifié la France «d'ennemi traditionnel et éternel» de l'Algérie. Le lendemain, au cours de la traditionnelle marche hebdomadaire des partisans du Hirak, opposants du gouvernement algérien, des slogans comme «la France est de retour, jeunes levez-vous !» ont été criés par les protestataires. Sur certaines pancartes étaient inscrits : «Là où arrive la France, c'est la destruction», «Macron dégage, vous n'êtes pas le bienvenu dans le pays des Martyrs».

Par ailleurs, l'ouverture le 8 avril d'une antenne de LREM (le parti d'Emmanuel Macron) à Dakhla, au Sahara occidental, est mal passée, l'Algérie considérant ce territoire disputé comme colonisé par le Maroc.

Clément Beaune a assuré que ces épisodes ne suffisent pas à demander un rappel de l'ambassadeur de France en Algérie, préférant évoquer «des contacts» pris pour évoquer le sujet entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays, Jean-Yves Le Drian et Sabri Boukadoum. Pas de «tension» donc, a-t-il promis, jurant que l'annulation de la visite de Jean Castex était due à «la situation sanitaire qui ne permettait pas au gouvernement français d'aller en grand nombre en Algérie». De son côté, la diplomatie algérienne s'est effectivement plaint de voir la délégation française réduite à la portion congrue, ce qui a été perçu comme un affront.

La visite de Jean Castex finalement annulée avait pour but de tenir pour la première fois depuis décembre 2017 un «Comité intergouvernemental de haut niveau», co-présidée par le chef du gouvernement français et son homologue Abdelaziz Djerad, afin de faire le point notamment sur la coopération économique entre les deux pays. Bruno Le Maire, ministre français de l'Economie, et Jean-Yves Le Drian devaient y prendre part également. En pleine crise sanitaire, «on ne peut imaginer que les autorités françaises se déplacent comme si de rien n'était, en très grand nombre», a estimé le secrétaire d'Etat Clément Beaune. «On a préféré collectivement décaler cette rencontre qui aura lieu dans quelques mois», a-t-il poursuivi.

Paris et Alger, une relation d'interdépendances 

Ces récentes tensions marquent le dernier épisode de relations tumultueuses entre les deux pays depuis des décennies, fruit de l'histoire coloniale et de la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962). Emmanuel Macron a effectué des actes politiques pour tenter d'apaiser cette relation, comme par exemple la reconnaissance de l'assassinat d'un militant indépendantiste, ou encore une ouverture des archives françaises de la période de la guerre. Ces initiatives font partie des recommandations mémorielles de l'historien Benjamin Stora dont le rapport a été critiqué en Algérie parce qu'il ne préconise pas notamment des «excuses» de Paris.

Mais du fait de cette histoire commune et tumultueuse avec l’Algérie, la France peut difficilement se désintéresser de la situation dans ce pays. La présence sur son territoire d’un nombre important d’Algériens de nationalité ou d’origine est le signe tangible des liens forts qui unissent les deux pays. Au-delà de l'aspect humain et historique, les deux pays sont également liés sur le plan économique. L’Algérie est le premier partenaire économique de la France dans la région MENA (Middle East and North Africa). Les échanges commerciaux entre les deux pays pèsent près de cinq milliards de dollars et plus de 500 entreprises françaises y sont implantées.

En outre, même si Paris et Alger ont maintes fois affiché leurs divergences concernant la résolution de crises internationales comme en Syrie ou en Libye, leur coopération sur le plan sécuritaire demeure indispensable au regard des enjeux communs. La stabilité de l’Algérie, interface géographique entre la Méditerranée et une bande sahélienne toujours instable, constitue un sujet de préoccupation majeur pour la France et ses partenaires européens. Et ce, d'autant plus que ces derniers sont confrontés aux conséquences sécuritaire et migratoire de la déstabilisation de la Libye par l’intervention de l’OTAN en 2011.