Alors que les violences entre bandes rivales de mineurs se multiplient depuis le 15 janvier à Paris (agression du jeune Yuriy) et sur tout le territoire, avec le phénomène dit des «rixes», RT France a interrogé un élu participant au Beauvau de la sécurité et un ancien commandant, porte-parole d'une association de policiers en colère, au sujet des dispositifs mis en place depuis 2017 pour prévenir et désamorcer les violences urbaines.
Un nouveau «plan de lutte contre les bandes» est d'ailleurs prévu par Beauvau pour l'horizon du mois de mai, mais ce nouveau dispositif n'arrive-t-il pas trop tard ?
Annoncée dès août 2017 par le ministre de l'Intérieur de l'époque Gérard Collomb, la police de sécurité du quotidien (PSQ) a été mise en place au mois de février 2018 avec un programme simple : réintroduire la présence policière dans les quartiers sensibles des métropoles et contribuer à l'apparition d'une «société de vigilance» en coordination avec les maires, ainsi que l'a déclaré Emmanuel Macron en personne en mai 2018.
La comparaison avec la police de proximité de Jean-Pierre Chevènement, créée en 2000 et supprimée par Nicolas Sarkozy en 2003, n'était pas particulièrement du goût du premier gouvernement de l'actuel quinquennat, et le ministre de l'Intérieur, qui démissionnerait quelques mois plus tard, avait ainsi déclaré en novembre 2017 en réponse à la question d'une députée Les Républicains : «Au-delà de l'opposition dogmatique entre police de proximité et police d'intervention [...] cette police sur le terrain aura pour mission de lutter, par des réponses différenciées, à la montée de la violence qui touche nos villes et nos quartiers, contre les incivilités et contre ce qui perturbe la vie quotidienne.»
Concrètement, les moyens mis en place à ces fins étaient les suivants : dégager du temps de travail pour les effectifs de terrain, gonfler ces effectifs (mais dans certains secteurs, le compte n'y était pas, ainsi que des associations de policiers et des syndicats du secteur l'ont fait remarquer dès l'année suivante) et forfaitiser certaines amendes, notamment pour détention de produits stupéfiants.
Parallèlement à ce dispositif, le gouvernement a lancé un partenariat avec les villes pour mettre en place des quartiers de reconquête républicaine (QRR). A titre expérimental, en 2018, une trentaine de zones sensibles ont donc reçu ce label visant à casser le trafic de stupéfiant et à contrer la délinquance organisée, notamment dans des quartiers du département de l'Essonne où une hausse des violences a pourtant été constatée depuis.
Selon un article du Parisien publié à la fin du mois de février, les décès d'un adolescent puis d'une adolescente à quelques jours d'écart dans ce département sont «significatif[s] de l'évolution du phénomène des bandes en Ile-de-France», surtout en «grande couronne». Et le quotidien d'expliquer : «La police nationale a répertorié 357 affrontements de ce type l'année dernière en France, dont 80% en Ile-de-France. Une augmentation de 24% par rapport à 2019. Si l'on affine ces chiffres, on se rend compte que 186 de ces rixes ont éclaté dans la grande couronne parisienne.»
Et le département le plus touché par le phénomène d'augmentation des violences serait justement l'Essonne (91 faits de «rixes» en 2020 contre seulement 56 l'année précédente, toujours selon cette même source).
Interrogé par RT France, le vice-président du conseil départemental d'Essonne Alexandre Touzet (LR) admet au téléphone : «Si la PSQ est un bon élément pour les mairies, les résultats sont moins visibles à l'échelon départemental... Il y a eu un mieux, mais le delta à combler est trop important, tant et si bien que ces efforts peuvent presque passer pour un élément de communication, parce qu'au niveau départemental, c'est presque cosmétique».
Et le maire de la petite commune de Saint-Yon, non loin de celle de Saint-Chéron récemment endeuillée par la mort d'une adolescente de 14 ans poignardée, de souligner : «L'effort réalisé sur la PSQ est quelque peu contredit par la réforme des commissariats d'agglomération. On a vidé des commissariats de proximité pour regrouper les fonctionnaires dans de plus grandes structures.»
Participant attentif du fameux Beauvau de la sécurité, Alexandre Touzet se souvient également que, concernant l'arrivée des effectifs nécessaires pour assurer le fameux continuum sécuritaire dans son département, le ministre de l'Intérieur n'a pas répondu clairement à sa dernière interpellation lors d'une table ronde du raout ministériel.
Gérald Darmanin a en revanche admis qu'il ne voulait pas retoucher à la réforme des commissariats en cours pour ne pas détricoter les travaux de ses prédécesseurs... tout en sous-entendant qu'il ne voyait pas forcément cette réforme d'un bon œil et qu'il allait falloir la revoir.
Il y a un retard qui date du début du mandat
Surtout, Alexandre Touzet déplore que le département de l'Essonne ne bénéficie pas d'un «dialogue très clairement posé avec l'Etat» depuis plusieurs années sur la situation sécuritaire. La demande est pourtant pondérée : «Nous souhaitons une reconnaissance de la nécessité d'un plan de rattrapage.» Et pour cause : les élus essonniens pointent un manque de 200 fonctionnaires en zone police, surtout dans les secteurs placés en QRR.
Mais le vice-président du département déplore, dans un souffle et tout en retenue, un calendrier sécuritaire trop tardif dans la mise en musique gouvernementale : «La police de proximité n'est pas un terme tabou pour moi et je pense que les policiers sont plutôt demandeurs d'un retour à l'îlotage et à la proximité, mais il y a un retard qui date du début du mandat. Et si le ministre actuel est très engagé, il y a deux sujets actuellement qui ne pourront pas être soldés avant la fin de ce quinquennat : la création d'une loi de programmation [afin de fixer le budget alloué à la sécurité intérieure pour cinq ans] sur laquelle doivent déboucher nos travaux au Beauvau de la sécurité, et d'autre part le sujet de la justice en France. On a dans ce pays des gens qui ont plusieurs dizaines de condamnations sans mandat de dépôt. On peut mettre tous les policiers qu'on veut en face ! Les forces contradictoires entre Gérald Darmanin à l'Intérieur, qui parle "d'ensauvagement" et Eric Dupond-Moretti à la Justice, qui parle de "sentiment d'insécurité", s'annulent. Le grand écart devient compliqué et il faut sortir de cette opposition classique pour résoudre ce problème de sécurité.»
Du côté des policiers en colère en revanche, notamment à l'association de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), le discours est moins pondéré... Joint par RT France, le porte-parole Jean-Pierre Colombiès décrit : «Le problème avec la PSQ est le même que lors de la création de la première polprox [police de proximité] en 2000. Les personnes à l'origine de ces dispositifs ne se posent pas réellement la question de savoir si ce qui a été confectionné en cabinet est applicable et corrélé à la réalité du terrain. Personne n'arrête ces gens à un moment pour leur dire : "Attends garçon, tu sais que sur le terrain, les gens n'ont plus vu un flic depuis des années ?"»
Et de dénoncer : «Le gouvernement emploie le vocabulaire de la modernisation, mais c'est plutôt une gestion de l'appauvrissement généralisé... Alors on supprime des petites structures jugées non rentables pour faire du neuf avec du vieux, mais le vide, c'est le vide ! Et avec la PSQ, on a rhabillé Jacques avec les vêtements de Paul. C'est du coup par coup, en fonction du vent des médias. D'une part, on avait un Castaner qui voulait faire mettre un genou à terre aux forces de l'ordre dans la cour de Beauvau et d'autre part, on a Darmanin avec ses coups de menton et les discours hyper virulents de Lallement [préfet de police de Paris].»
Le gouvernement emploie le vocabulaire de la modernisation, mais c'est plutôt une gestion de l'appauvrissement généralisé
Et l'ancien commandant de police de s'interroger, fataliste : «Et la violence des mineurs dans tout ça ? Et la montée en puissance des gangs ? Ces phénomènes sont avant tout nourri par l'absence de l'Etat sur le terrain. Ce vide régalien a été comblé par la loi des gangs depuis des années. Il aurait fallu autre chose que des mots creux et quelques flicards supplémentaires, sans même parler de l'absence de réponse pénale. Il y a une distance sidérale entre la réalité du magistrat et la violence du terrain... et les victimes sont carrément les grandes oubliées de l'équation. Elles ont si peur de l'impunité des délinquants qu'elles n'osent même pas témoigner. Ces gens ont la trouille et, entre l'absence de flics et une justice qui ne suit pas... je les comprends !»
Quid de la PSQ, des QRR et du plan de lutte contre les bandes ? Jean-Pierre Colombiès résume : «On gère des petits bouts de misère et on met des nouveaux mots dessus.»
Antoine Boitel