Faut-il commémorer, voire célébrer, les 200 ans de la mort de Napoléon Bonaparte, décédé le 5 mai 1821, sur l'île de Sainte-Hélène ? Ou faut-il, comme le préconise le député de La France insoumise (LFI) Alexis Corbière, ne rendre aucun «hommage officiel» à celui qui «a été le fossoyeur [de la République] en mettant fin à la première expérience républicaine de notre histoire pour créer un régime autoritaire». Contacté par nos soins, le service communication de Jean Castex nous a fait savoir «qu'à ce stade, il n'y avait pas de séquence particulière de programmée».
«Rien n'est prévu, ni d'organisé, ni de confirmé», nous répond-on donc du côté de Matignon, ajoutant que le Premier ministre était «tributaire» du contexte sanitaire et de son évolution. De son côté, à l'heure de la publication de cet article, l'Elysée n'a pas répondu à la sollicitation de RT France quant à la volonté du président de la République de commémorer ou non ce bicentenaire. Il faut dire que depuis plusieurs décennies, l'empereur est rarement bien traité par nos chefs d'Etat, comme en cette année 2005 où Jacques Chirac avait refusé de commémorer la victoire d'Austerlitz de 1805 mais avait envoyé le porte-avions Charles de Gaulle, la même année, à la commémoration de la défaite de Trafalgar...
En fait, Emmanuel Macron et le gouvernement ne veulent sans doute pas réveiller certaines tensions. Car il n'y a pas qu'au sein de La France insoumise où Napoléon est contesté. Proche du PS, le député de la Martinique Serge Letchimy a affirmé vouloir refuser toute célébration. A droite également, l'ancien président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré estime que célébrer Napoléon serait une «provocation».
De quoi faire hérisser le poil à certains (rares) qui osent affirmer avec fierté que Napoléon a tout pour mériter une commémoration, voire une célébration.
Interviewé par RT France, le député Les Républicains Julien Aubert fait partie de ceux-ci. Comme il l'écrit dans une tribune pour le JDD, «ignorer le bicentenaire de la mort de Napoléon serait une faute contre la nation». Ne pas célébrer «le petit caporal» serait «une erreur qui engage une responsabilité» car, pour l'élu gaulliste, «en refusant de commémorer Napoléon, l'Etat refuserait de célébrer le récit national et ce qui fait de nous des Français».
On préfère prendre du temps pour s'excuser, reconnaître les crimes passés et faire de la repentance plutôt que pour s'enorgueillir d'être la patrie de Napoléon, Colbert ou Richelieu
Or, Julien Aubert craint que l'exécutif cherche à ne pas froisser les «déconstructeurs», dont font partie les défenseurs de la cancel culture ou les décoloniaux. «On a une espèce de vision biaisée où on préfère prendre du temps pour s'excuser, reconnaître les crimes passés et faire de la repentance plutôt que pour s'enorgueillir d'être la patrie de Napoléon, Colbert ou Richelieu», s'offusque-t-il. «Napoléon a sans doute été un conquérant violent», reconnaît le parlementaire du Vaucluse «mais c'est aussi l'homme du code civil», dit-il. Julien Aubert demande de fait à ce qu'on ne regarde pas qu'une facette d'un personnage historique : «De Gaulle a sans doute mal géré la sortie de la crise algérienne mais il est aussi le chef de la France libre, Louis XIV a fait la guerre mais c'est l'homme qui a construit Versailles, Mitterrand a reçu la francisque, mais est-ce qu'on va réduire Mitterrand à la francisque ?
Il ne restera bientôt à célébrer que Saint-Augustin
«Même Jésus a chassé les marchands du temple... il ne restera bientôt à célébrer que Saint-Augustin», ironise-t-il, en trouvant tout cela «ridicule».
Il estime d'autre part que la crise sanitaire, économique et sociale «n'est pas seulement un crise matérielle, mais aussi une crise spirituelle». Or, «célébrer Napoléon c'est célébrer le lien national, c'est ouvrir les Français sur quelque chose qui les dépasse», justifie-t-il.
Napoléon, un modèle de l'intégration française ?
Dans la même lignée philosophique, David Saforcada est président de l'organisation politique France bonapartiste. Ce mouvement défend l'héritage de Napoléon et met en avant les «principes et les valeurs bonapartistes» qui se retrouvent, selon son président, «dans le gaullisme ou le souverainisme de gauche par exemple».
Il considère pour sa part la commémoration comme un événement «obligatoire» pour la France. Dans la même approche que Julien Aubert, David Saforcada souligne que la France ne doit pas «tomber dans cette repentance imposée sous couvert que, 200 ans après, la société a évolué». Il met dès lors en garde contre les anachronismes qui seraient faits sur un personnage historique et central dans la politique française et européenne du XIXe siècle, avec le regard du XXIe siècle.
Napoléon met un terme à la Révolution mais il la sauve également, en sauvant ses acquis
David Saforcada consent à entendre les critiques de ceux qui, comme au sein de La France insoumise, dénoncent un Napoléon ayant mis fin au premier cycle de la République pour sa propre gloire, mais il met des limites. «Qu'on le veuille ou non, malgré ce qu'en pense Alexis Corbière ou d'autres de LFI, Napoléon met un terme à la Révolution mais il la sauve également, en sauvant ses acquis», avance ce défenseur du «Grand général» en listant certains de nos legs actuels directement issus de la période napoléonienne : «Si aujourd'hui, on a encore le code civil, la présence des préfets, pour principe la méritocratie... tout cela, on le doit à Napoléon.»
«On est tributaire de cet héritage», argumente-t-il. Il déplore ainsi que la minorité représentée par les décoloniaux et les indigénistes mettent en permanence en avant le rétablissement en 1802 de l'esclavage dans les colonies, sans prendre de hauteur sur l'époque. Il s'étonne en somme que ces mêmes détracteurs ne pointent pas du doigt le fait que «les Américains, les Anglais [et toutes les puissances] avaient tous des esclaves». Par conséquent, pour le bonapartiste, l'histoire ne doit pas être vue comme «tout blanc ou tout noir» et rappelle que Napoléon a par exemple «aboli l'esclavage à Malte quand il a pris l'île, aboli le servage lorsque l'empereur est arrivé en Pologne et que, partout où il est allé, a rendu la liberté aux juifs».
David Saforcada note que, à l'image de ce qui se passe aux Etats-Unis avec «le déboulonnage de statues comme celles du général Lee», cette minorité «a décidé de détricoter la France». «Nous avons des gouvernements qui en ont peur car ils pensent que cette minorité réussit à influencer des populations», ajoute-t-il. «Or, je suis persuadé que la majorité des Antillais ou des Français d'origine africaine qui vivent en métropole se contrefichent que Napoléon ait rétabli l'esclavage en 1802», affirme-t-il.
Napoléon a aboli l'esclavage à Malte, aboli le servage en Pologne et, partout où il est allé, a rendu la liberté aux juifs
S'il accepte donc que l'on puisse formuler des accusations sur Napoléon Bonaparte, David Saforcada craint cet esprit visant à renier non pas seulement l'histoire mais «la France» : « Comment voulez-vous que des jeunes issus de l'immigration ou qui sont Français depuis deux, trois générations, se reconnaissent comme vraiment Français si on leur explique, à longueur de journée, que l'histoire de France n'a été faite que par des salauds, des méchants esclavagistes, des assassins, des misogynes, etc.»
David Saforcada tient d'ailleurs à souligner que Napoléon Bonaparte, est «l'un des plus beaux symboles d'intégration française» : «Un gamin qui ne parlait quasiment pas français, a été déraciné de son île natale pour se retrouver au milieu de Français qui se moquaient de son accent et de son côté "noiraud", car c'était un corse avec un teint un peu mat. Ce gamin, par sa volonté de s'élever et aidé par les événements historiques, finit empereur des Français.»
Les bonapartistes et admirateurs de Napoléon seront à Paris le 5 mai
Le leader de la France bonapartiste nous confie qu'il a fait deux demandes d'organisation d'événements à Paris pour le bicentenaire : une première place Vendôme le 5 mai et une deuxième pour une veillée esplanade des Invalides dans la nuit du 4 au 5 mai. Il attend désormais la réponse de la préfecture.
Se définissant comme un «jusqu'au-boutiste», David Saforcada sera là, quoi qu'il arrive à Paris le 5 mai, pour célébrer Napoléon, «confinement ou pas confinement, et même si les autorisations ne sont pas accordées». Dans l'espoir au moins de rendre hommage aux Invalides à ce personnage controversé de l'histoire qui aura fait, en son temps, la grandeur de la France.
Bastien Gouly