France

«Réécriture de façade» ? Le controversé projet de loi Sécurité globale remanié par les sénateurs

La commission des lois de la chambre haute a adopté 73 amendements au texte controversé. L'article 24 a notamment été revu et introduit un délit de «provocation à l’identification». Suffisant pour mettre fin à la contestation ?

Trois mois après son passage à l'Assemblée nationale, la proposition de loi (PPL) Sécurité globale a été examinée le 3 mars en commission des lois du Sénat qui l'a adoptée avec de larges réécritures, comme le rapportent Public Sénat et LCI. Mais certains opposants au texte mettent en garde contre une «réécriture de façade» qui ne changerait pas son esprit.

Le projet de loi, qui avait suscité des manifestations durant plusieurs semaines, doit encore être examiné à partir du 16 mars en séance publique au Sénat.

73 amendements, l'article 24 réécrit

73 amendements ont été adoptés en commission, pour la plupart introduits par les deux rapporteurs Marc-Philippe Daubresse (LR) et Loïc Hervé (Union centriste), le second expliquant que le texte est désormais plus «sécurisé juridiquement et protecteur des libertés publiques qu’il ne l’était en sortant de l’Assemblée nationale». Néanmoins, selon l'association de défense des libertés La Quadrature du Net, opposée à la PPL, «il ne faut pas se laisser abuser par les modifications apportées au texte et dont se vanteront sans doute les rapporteurs», le texte adopté le 3 mars se montrant selon l'association «aussi sécuritaire que celui adopté par l’Assemblée nationale».

Le polémique article 24, empêchant la diffusion d’images d’interventions de policiers et gendarmes à des fins malveillantes, adopté en décembre par la chambre basse dans un contexte tendu, a notamment été totalement réécrit par les élus du Sénat. «Nous n’avons rien gardé de ce qu’il était pour le re-rédiger intégralement», a expliqué Loïc Hervé en conférence de presse le 4 mars. La nouvelle version introduit un délit de «provocation à l’identification» qui ne sera pas inscrit dans la loi sur la liberté de la presse mais dans le Code pénal et sera passible de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Selon La Quadrature du Net, il est à «espérer que, ainsi modifié, l’article 24 ne fasse plus diversion et que le débat puisse enfin se recentrer sur les mesures de surveillance au cœur de la proposition de loi».

Si l'article 24 avait en effet retenu l'essentiel du discours médiatique, l'impact de la proposition de loi s'étend bien au-delà de cette seule mesure. Le projet de loi touchait par exemple en profondeur au statut de la police municipale ou encore au domaine de la sécurité privée.

Selon le texte amendé, les agents municipaux ne pourront plus procéder à des saisies, ou constater des infractions comme la consommation de stupéfiants ou la vente à la sauvette de tabac, mais ils seront désormais autorisés à visionner les images de caméras de surveillance installées sur la voie publique, une prérogative actuellement limitée aux gendarmes et aux agents de la police nationale. Ils pourront par ailleurs constater l’occupation illicite d’un lieu public ou, par procès-verbal, un rodéo motorisé.

En revanche, sur le sujet de la vidéosurveillance la commission des lois a supprimé l’article 20 bis qui prévoyait de faciliter la retransmission en direct des images filmées par les caméras dans les halls d’immeubles.

Suffisant ? Pour la Quadrature du Net, «les sénateurs se sont contentés de quelques modifications de façade qui, prétendant suivre l’avis d’une Cnil démissionnaire, ne changeront rien à l’extension injustifiable des personnes pouvant accéder aux images de vidéosurveillance». Et en effet, au moment de présenter leurs modifications en conférence de presse le 4 mars les rapporteurs n'ont pas manqué de souligner avoir demandé à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) de «donner son avis sur ce texte parce qu’elle n’avait pas été saisie» par l'Assemblée nationale. Selon Loïc Hervé, «les rapporteurs ont tenu compte de cet avis», rendu le 26 janvier.

Un texte «aussi sécuritaire que celui adopté par l’Assemblée nationale» ?

En outre, à propos de l'usage des drones, autre volet polémique du projet de loi, les enregistrements sonores, la reconnaissance faciale et l’interconnexion de ces matériels de surveillance seront interdits. Dans le cadre de manifestations, le recours aux drones pourra s’effectuer, à condition toutefois que «les circonstances [fassent] craindre des troubles à l’ordre public d’une particulière gravité». Mais sur ces questions, la Quadrature du Net appelle également à la méfiance, estimant que la réécriture par la commission sénatoriale «doit être largement relativisée».

L'association estime notamment que le problème de la reconnaissance faciale est avant tout posée par «les caméras-piétons bientôt largement déployées en France et dont les images seront transmises en temps réel au centre de contrôle en application de la loi Sécurité Globale». «Les rapporteurs n’ont rien fait pour contrer ce risque pourtant bien plus actuel et immédiat que celui posé par les drones, plus lointain [...] Ici encore, l’amendement adopté [le 3 mars] se contente de réécrire sans rien changer, en prétendant suivre l’avis de la Cnil qui, elle même, ne proposait rien de concret ou de juridique», déplore le groupe de défense des libertés.