France

Gilets jaunes blessés à vie : Valérie

Touchée par une grenade à la jambe lors d'une manifestation des Gilets jaunes, Valérie Guillonneau a vu sa vie changer sans toutefois obtenir réparation de la part de l'Etat, ni même une reconnaissance de son handicap.

«Le matin, ça me lance et je boîte. Le soir, après une grosse journée de travail à la maison de retraite, je suis totalement essorée. Je n'ai plus le droit de faire du sport et le médecin m'a dit que j'aurai mal toute ma vie.» Valérie Guillonneau n'a que 41 ans, mais un an après avoir été gravement blessée à la jambe par un bouchon de grenade GM2L qui lui a traversé le mollet lors d'une manifestation de Gilets jaunes contre la réforme des retraites le 11 janvier 2020 à Nantes (Loire-Atlantique), sa vie a changé.

Elle a reçu un courrier du tribunal judiciaire de Nantes clôturant son affaire le 15 janvier 2021, presqu'un an après la blessure, jour pour jour : «Avis de classement à victime [...] les faits dénoncés dans votre plainte devant les gendarmes ne peuvent recevoir aucune suite pénale. Il est tout d'abord impossible d'identifier le CRS ou le gendarme mobile à l'origine du tir de la grenade lacrymogène dont un débris vous a blessé au mollet.»

Commentaire de Valérie : «Pourtant quand on a pris ma plainte, on m'a bien expliqué que des vidéos étaient disponibles pour savoir si j'avais quoi que ce soit à me reprocher au cours de cette journée, ils m'ont aussi dit qu'ils avaient fouillé mon compte Facebook. Ils m'ont dit qu'ils avaient filmé toute la journée depuis des rues adjacentes. Je leur ai dit : "Vous pouvez y aller, je n'ai absolument rien à me reprocher, je manifestais, c'est tout." Par contre, pour retrouver un gendarme ou un CRS sur leurs vidéos, là, c'est impossible visiblement !»

Et le courrier du tribunal poursuit : «Il apparaît que cette manifestation a été particulièrement violente [...], dans ce contexte, l'emploi de moyens, en particulier de grenades lacrymogènes ou grenades de désencerclement, était parfaitement légal.»

Et de conclure : «Si vous-même n'avez commis aucun acte répréhensible à l'égard des forces de l'ordre, votre blessure s'explique par votre présence involontaire dans un mouvement de foule et une manifestation violente.»

Valérie Guillonneau, pour sa part, explique à RT France qu'au contraire le cortège était chantant et pacifique quand la réplique policière est arrivée : «Ce n'était pas du tout violent à ce moment-là. Mon mari était même en train de nous filmer, on chantait à l'image quand ça a commencé à tirer.»

La manifestation vient de s'élancer depuis quelques minutes et, tout de suite, elle sait qu'elle a été touchée à la jambe droite et que du sang coule : «A aucun moment je n'ai pas vu la blessure en direct, je ne voulais pas et mon mari m'a dit de ne pas regarder. Je me suis accrochée à lui, il m'a sortie de là, vers une rue adjacente. Le nuage de lacrymogène était tellement épais qu'il a fallu me sortir de cette rue pour me prendre en charge.»

On a voulu me faire rentrer à la maison, mais je suis toujours là et je continuerai, avec ou sans gilet, ça ne change rien.

Transférée aux urgences, on lui explique l'étendue de sa blessure : «Je croyais que ce n'était que du plastique, mais on m'a dit qu'il y a "de la ferraille là-dedans". Le déclencheur m'a traversé tout le mollet, on voyait la tête de l'objet qui dépassait de l'autre côté. J'ai eu cinq points de suture de ce côté de ma jambe pour le sortir. On m'a laissé manipuler l'objet qui m'a touchée pendant seulement quelques minutes pour le prendre en photo parce que j'ai insisté. Puis on me l'a repris à des fins d'enquête, en argument que c'était "létal". Je n'ai même pas pu avoir les radios de ma jambe depuis. L'officier de police judiciaire est passé très tôt le lendemain à l'hôpital pour récupérer le morceau de grenade que je n'ai plus jamais revu.»

ATTENTION, LES IMAGES SUIVANTES PEUVENT HEURTER LA SENSIBILITE

Au micro de RT France lors de notre visite à son domicile, Valérie Guillonneau relève une anecdote qui souligne la violence qui a traversé la France pendant ces mois de colère sociale : «Ce qui était étrange à l'hôpital, c'est que j'étais dans un box à côté d'un gendarme blessé à la mâchoire. On était chacun de notre côté. Il y en avait beaucoup des comme nous, qui arrivaient de la manif au CHU.»

Puis, viennent les longs mois de convalescence, mais tout d'abord, le retour au travail, au bout de seulement quelques semaines parce qu'elle est en CDD dans une maison de retraite et que si elle ne retourne pas à son emploi de soignante, elle le perdra.

Quand nous l'avons interrogée une première fois en février 2020, elle pensait encore, un peu bravache, masquer la cicatrice par un tatouage, mais un an plus tard, il n'en est plus question : «Cette jambe, elle est tellement sensible que je ne veux même pas qu'on y touche ! Quand mes enfants sont avec moi sur le canapé, je fais très attention et avec mon mari dans le lit, c'est pareil. C'est une zone devenue très douloureuse.»

Il faut préciser ici que la plaie s'est nécrosée quelques jours après son retour de l'hôpital car des débris en plastique étaient encore pris dans ses chairs. «L'infirmière a dû creuser plus loin pendant les soins», précise Valérie, qui se souvient vaguement que dans la Convention sur certaines armes classiques ratifiée par la France dans les années 1980, les armes dont l'effet principal est de provoquer des éclats non-localisables aux rayons X dans le corps humain sont proscrites sur les conflits armés...

Soit : la GM2L produite par l'entreprise française Alsetex n'a pas pour effet principal de laisser du verre et du plastique dans le corps mais de désorienter les individus visés pour les disperser (effet combiné de gaz lacrymogène, de détonation assourdissante et de souffle, même si le fabricant ne le revendique pas). Mais il s'agit tout de même d'un effet indésirable constaté.

La Gilet jaune blessée a donc dû apprendre à vivre avec la douleur, mais Valérie Guillonneau est également une jeune quadragénaire aussi déterminée que coquette : «Cette blessure, je l'accepte, mais on reste femme tout de même... C'est dur. Je n'aime pas ma jambe blessée. Je ne porte presque plus de jupes, ni de robes. Je la cache.»

Touchée, elle ne s'avoue pas vaincue pour autant et continue d'espérer «une révolution». Valérie manifeste quand elle peut, mais elle avoue sa difficulté sans ambages : «La première fois que nous y sommes retournés, j'avais peur de tous les bruits, des mouvements de foule. A Paris, la dernière fois, j'ai demandé à mon mari qu'on reparte très tôt, alors qu'on avait fait que quelques centaines de mètres. J'avais trop peur. D'ailleurs je ne porte plus le gilet jaune que j'ai personnalisé, nous sommes devenus des cibles... On a dit tellement de choses fausses ou caricaturales sur les Gilets jaunes. On a voulu me faire rentrer à la maison, mais je suis toujours là et je continuerai, avec ou sans gilet, ça ne change rien.»

J'avais la peur du gendarme auparavant. Maintenant ce n'est plus pareil

Valérie explique aussi que son rapport à la justice, qu'elle ne connaissait pas avant cet épisode traumatique, et à l'autorité ont changé également : «J'ai cru bêtement que je pouvais avoir confiance dans la justice, mais on me répond que j'étais au mauvais endroit au mauvais moment et c'est tout. Et si je veux poursuivre, on me prévient que ça peut être à mes dépens ! C'est la France quand même, ce n'est pas la Birmanie... Mais même la sécurité sociale a mis deux mois à me rembourser après ma blessure. Résultat : mon handicap n'est pas reconnu et je n'ai pas été dédommagée non plus pour ma blessure. Mon rapport à l'autorité a changé aussi. J'avais la peur du gendarme auparavant et du respect pour l'uniforme aussi. Maintenant ce n'est plus pareil. Quand on me contrôle lorsque je reviens du travail tard le soir, je n'ai plus peur, c'est différent.»

Gilet jaune un jour, Gilet jaune toujours ? «Je pense que ce sont nos enfants qui changeront les choses à l'avenir et ça me fait presque plus peur que ce qui m'est arrivée en fait... même si je mesure ma chance de n'avoir pas perdu un œil ou une main, comme d'autres Gilets jaunes.»

Antoine Boitel

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